La Société Musulmane est une Société théocratique. -La loi religieuse, inflexible et immuable, régit les institutions comme les actes de l’individu. -La législation. – L’instruction. -Le gouvernement. – La condition de la femme. – Le commerce. – La propriété. – Dans les institutions musulmanes, aucune originalité. – L’Arabe a imité en déformant. – Dans les manifestations de l’activité intellectuelle, il apparaît comme un paralytique et comme il a imprégné l’Islam de son inertie, les peuples qui ont adopté cette religion sont frappés de la même stérilité. – Tous les musulmans, quelle que soit leur origine ethnique, pensent et agissent comme un Bédouin barbare du temps de Mahomet.
Après avoir étudié l’histoire de l’Empire arabe et pénétré les causes de sa chute, il n’est pas impossible de comprendre la psychologie du musulman où plutôt la déformation que fluence arabe a fait subir, par l’instrument de l’Islam, à tous les individus qui ont adopte cette doctrine.
La Société musulmane est une société théocratique. Tout y est régi par la loi religieuse : les moindres actes de l’individu aussi bien que les institutions. Dieu est le maître suprême, Le savoir n’est considéré que comme un moyen de le mieux connaître, pour le mieux servir. L’intelligence humaine, l’activité humaine, n’ont d’autre but que de le glorifier. L’individu est plié à cette conception par tout un réseau de mesures et de prescriptions, ourdi au deuxième siècle de l’Hégire par les docteurs de la foi.
Ibn-Khaldoun dit, dans ses Prolégomènes, que l’une des marques distinctives de la civilisation musulmane, c’est l’habitude d’enseigner le Koran aux enfants. Il aurait pu ajouter que l’enseignement exclusif du Livre sacré constitue à lui seul, pour les musulmans, le programme des études primaires, secondaires et supérieures. Dieu étant le dispensateur de tous les biens, tout est ramené à lui : sciences, arts, Manifestations de l’activité humaine. Connaître sa parole est l’unique préoccupation du fidèle ; mais le Koran est écrit dans une langue morte qu’un musulman ne saurait comprendre sans une étude spéciale ; aussi en, est-on arrivé, pour simplifier la tâche, à se contenter de lire le texte sacré, sans chercher à le comprendre. Le bien lire, en prononcer correctement les vocables, voilà tout le scibile des nations islamiques.(1)
(01) SAWAS PACHA. – Et. sur le droit musulman.
Au surplus, il ne servirait de rien à un fidèle de pouvoir comprendre la parole divine, puisqu’il n’a ni le droit de l’interpréter, ni celui de la prendre pour règle de conduite, en 1′appliquant aux événements et aux circonstances. L’explication du Koran a été fixée, une fois pour toutes, par les commentateurs orthodoxes : cette interprétation est définitive et aucun musulman ne peut la modifier sous peine d’apostasie. Cette défense formelle et irrévocable interdit tout progrès aux nations mahométanes. Exécutée à une époque barbare, l’interprétation orthodoxe n’est plus, depuis longtemps, à hauteur des progrès réalisés dans tous les domaines, par les peuples civilisés ; le monde a évolué, mais le croyant, enserré dans un réseau de textes désuets, ne peut suivre cette évolution. Au milieu des États modernes, il reste un homme du Moyen-Age. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner rapidement les diverses institutions de la société islamique.
La Législation. – Le Koran est, en principe, la source où les musulmans ont puisé leur inspiration, mais Mahomet n’avait eu ni le temps, ni peut-être même l’idée d’établir une doctrine précise, arrêtée dans tous ses détails. Désireux de s’attirer des partisans, il s’ingéniait à plaire à tout le monde. C’était un diplomate et un tribun, plutôt qu’un législateur. Suivant les circonstances, il émettait un avis, une théorie qu’il n’hésitait pas à rapporter le lendemain, si l’intérêt du moment le lui commandait. Aussi, le Koran renferme-t-il des prescriptions si contradictoire, qu’il serait difficile d’en extraire des règles précises de conduite, en dehors de la reconnaissance de l’unité de Dieu et de la mission de son Envoyé. C’est ainsi que Mahomet a déclaré tantôt qu’il fallait respecter les chrétiens et les juifs, les gens du Livre, au même titre que les musulmans, tantôt qu’il fallait les exterminer sans pitié. Ce n’est qu’un exemple de ses contradictions. On en pourrait citer d’autres.
Il en résulte que le Koran est un code singulièrement confus et que les successeurs du Prophète, chargés de l’appliquer, furent parfois fort embarrassés. Les plus scrupuleux s’entourèrent de conseillers choisis parmi les personnages qui, ayant vécu dans l’intimité de l’Envoyé de Dieu, passaient pour connaître sa pensée. Les autres agirent selon l’inspiration du moment et, souvent, selon leur bon plaisir. Mais lorsque les conquêtes arabes eurent élargi l’Empire, le Calife, se trouvant dans l’impossibilité matérielle de rendre la justice par lui-même, dut déléguer ses pouvoirs et comme il était dangereux de laisser à chacun des délégués la liberté d’interpréter les textes sacrés, on reconnut la nécessité de rédiger à leur usage un code suffisamment précis. (1)
L’oeuvre ébauchée par les premiers Califes, puis continuée après eux, dans les différentes parties de l’Empire, fut terminée par des jurisconsultes qui furent les fondateurs des quatre rites orthodoxes : Malékite, Hanéfite, Chaféite, Hanbalite. Le travail de chacun des quatre interprétateurs du Koran, conçu d’après les mêmes principes, est une sorte de compilation de textes très divers. Ce sont :
1- Les prescriptions du Koran ;
2 Les paroles du Prophète, rapportées par ses anciens compagnons. – La parole de Dieu, (Koran) et la conduite de son Envoyé (Sounnet), voilà les sources principales du droit musulman. La parole divine a été communiquée par l’ange du Seigneur à Mahomet et transmise par celui-ci aux hommes, en des termes identiques à ceux que l’ange avait prononcés et que l’Élu du Très-Haut (Moustafa) avait fidèlement conservés dans sa mémoire. La conduite du Prophète est également un effet de l’inspiration divine, directe et immédiate ; elle comprend les paroles, les actions et l’approbation, soit explicite, soit tacite du fondateur de l’Islam. Dieu et le Prophète sont les législateurs des musulmans.
La législation est, d’après l’expression consacrée, un don précieux du Ciel. (2)
Mais les prescriptions de Dieu (Koran) et celles du Prophète (Sounnet) ne suffirent pas à tous les cas ; il fallut les compléter. Incapables d’accomplir ce travail, en puisant dans leur propre fond, les jurisconsultes cherchèrent ailleurs l’inspiration qui leur manquait. Les sources auxquelles ils puisèrent sont connues ;
3- Les Lois romaines, en vigueur dans la plupart des pays nouvellement conquis : Syrie, Égypte, Moghreb. Mais en adoptant ces lois, ils les déformèrent jusqu’à les défigurer;
4- Les usages antéislamiques qui, n’ayant pas été réprouvés par le Koran, étaient considérés comme approuvés, ou ceux qui avaient été modifiés par le Prophète, sans cependant avoir été abolis ;
5- L’ancien Testament, pour les prescriptions relatives à la défense du meurtre et de l’adultère (3) ;
6- Les arrêts rendus par les Califes, d’après le Koran.
La législation musulmane est donc un amalgame des préceptes du Koran, des paroles du Prophète, du droit romain, des vieilles coutumes antéislamiques et des jugements des Califes. D’après les commentateurs orthodoxes qui ont fixé la doctrine, la législation est la connaissance de l’homme avec ses droits et ses devoirs. Cette connaissance s’obtient par l’étude de la science du droit qui comprend également la philosophie et la morale.
La philosophie précise les rapports entre l’homme et les autres êtres, entre l’homme et le Législateur par excellence : Dieu. La morale enseigne les rapports réguliers et corrects qui doivent exister, soit entre les individus qui vivent en société, soit entre l’individu et la société. Elle forme la conscience de l’homme et celle du juge et la fortifie au point de rendre l’un et l’autre capables de distinguer la beauté (légalité) de la laideur (illégalité) (4).
Les quatre interprétations du Koran représentent quatre rédactions différentes. Partout où la loi musulmane est en vigueur, tout fidèle peut choisir l’une ou l’autre de ces interprétations, mais son choix arrêté, il doit y conformer ses actes.
Les travaux des commentateurs ont si bien remplacé le Koran lui-même, qu’il ne peut plus être choisi pour étayer un jugement. Un arrêt motivé en droit sur un texte tiré directement du Livre révélé serait nul et pourrait donner lieu à une pénalité contre son auteur. Cette façon de procéder constituerait, en effet, une hérésie et serait considérée comme une tentative d’insubordination aux interprétations orthodoxes. Celles-ci sont définitives et immuables.
Nul n’a le droit de les modifier par adjonctions ou restrictions.
Or, comme elles furent rédigées au deuxième siècle de l’Hégire, à une époque barbare, elles ont immobilisé la société musulmane et, aujourd’hui, elles l’empêchent d’évoluer. Elles ont frappé de stagnation irrémédiable les cerveaux des croyants. Tant qu’elles seront en vigueur ceux-ci resteront incapables de progrès et de civilisation.
L’instruction. – Selon les docteurs musulmans, les connaissances de l’homme dérivent de deux sources principales : la raison et la foi. Donc, les sciences forment deux classes : les rationnelles (Aklïa) et les imposées ou positives (Ouadiya) (5).
Les rationnelles comprennent les connaissances que l’homme peut acquérir par sa propre raison, sans le secours de la révélation : géographie, mathématiques, chimie, physique, astronomie, etc. ; elles sont considérées comme secondaires et, dans les programmes d’enseignement, elles laissent la première place aux sciences de révélation que l’homme doit à la générosité divine.
Celles-ci comprennent deux catégories :
Les sciences du langage ou sciences instrumentales : lecture et écriture, qui permettent d’aborder la connaissance du Koran.
Les sciences du droit qui traitent de la lecture du Livre révélé et de l’application législative des paroles divines, faites par les interprétateurs orthodoxes.
Les sciences du droit se subdivisent en sciences sources et en sciences déduites des sources. Les sciences sources concernent l’étude des sources de la religion et du droit, c’est-à-dire le Koran et la conduite du Prophète. Cette étude comprend d’abord la lecture du Koran et celle des Hadith ou recueil des paroles de Mahomet; c’est l’application aux textes sacrés des principes enseignés par les sciences du langage. Dès que l’on possède la lecture parfaite du Koran, on passe à l’explication des mots dont l’ensemble forme le Livre révélé ; c’est ce que l’on appelle : l’annotation.
Lorsque l’étudiant possède une connaissance complète des sources, il passe à l’étude des sciences déduites, c’est-à-dire qui découlent des sources proprement dites : Koran et Hadith. Elles comprennent l’étude de la doctrine religieuse et des croyances qui s’y rattachent, celle de la théorie du droit et des applications du droit.
Le droit fait partie des sciences théologiques, parce qu’il permet de distinguer le licite de l’illicite, le bien du mal, suivant les prescriptions du Koran et des Hadith. « La théorie du droit forme la première subdivision des sciences législatives. Les applications du droit se partagent en trois groupes distincts. Le premier est relatif aux actions humaines ayant un caractère religieux : la prière, le jeûne, la redevance de l’aumône, le pèlerinage, la guerre sainte ; le second, aux dispositions légales concernant les actions humaines qui ont un caractère purement social et contractuel » (6).
Tel est l’enseignement musulman. C’est de la pure scolastique. Il convient d’ajouter que cet enseignement est donné dans les mosquées, que chaque professeur fait le cours qui lui convient, que chaque étudiant suit le cours de son professeur de prédilection. Ni inscription, ni diplômes ne limitent la liberté entière dont jouissent les professeurs et les élèves. Il existe cependant une sanction des études suivies. Chaque professeur délivre à ses élèves les plus méritants une autorisation d’enseigner à leur tour (Idjaza). L’Idjaza est délivré par écrit ou donné verbalement par le professeur, non pour une science ou pour un groupe de sciences, mais bien pour un livre lu ou appris, pour une branche de science définie; par exemple pour une lecture du Koran, pour plusieurs de ces lectures ou pour toutes les lectures ; pour les Hadith, pour la grammaire, pour la calligraphie ou pour un ou plusieurs commentaires (7).
Un pareil enseignement est à peu près stérile, puisque la partie scientifique est supprimée au profit de la partie théologique. Il frappe les cerveaux de paralysie ; il immobilise les connaissances. Un peuple pourra, pendant des siècles, lire le Koran et en expliquer minutieusement chaque terme, sans avancer d’un pas dans la voie du progrès. A piétiner sur place, dans le rabâchage d’une leçon fastidieuse, les esprits perdent leur souplesse, leur sagacité, leur curiosité ; les intelligences s’atrophient et deviennent incapables d’un effort original. C’est là qu’il faut chercher la cause de l’engourdissement intellectuel des nations musulmanes.
La Société musulmane. -Le Gouvernement. – Lorsqu’on étudie une institution musulmane, il ne faut jamais perdre de vue que les lois qui la régissent sont d’ordre religieux. La société musulmane est baignée d’une atmosphère religieuse. La langue, la législation sont des dons de Dieu; tout, dans l’Islam, est contenu dans la religion. L’instruction publique et privée, l’administration, la justice, les finances, la répartition des impôts, les relations internationales, la paix, la guerre, le commerce, les arts, les métiers, l’exercice de la charité, la sécurité publique, les travaux publics ont un caractère religieux. Rien ne peut se conserver ni fonctionner que par la religion et par ses ordonnances. Un savant asiatique appelle les peuples de l’Islam « corpora ecclesiœ » (8).
Le gouvernement, comme les autres institutions, est d’inspiration religieuse. Le Califat, mode de gouvernement qui succéda à l’administration patriarcale du Prophète, était une institution religieuse, fraternelle et populaire. Les auteurs musulmans en donnent la définition suivante : « Les musulmans doivent être gouvernés par un Imam (Calife) ayant le droit et l’autorité de veiller à l’observation des préceptes de la loi, de faire exécuter les peines légales, de défendre les frontières, de lever des armées, de percevoir les dîmes fiscales, de réprimer les rebelles et les brigands, de célébrer la prière publique du vendredi et les fêtes du Beyram, de juger les citoyens, d’admettre les preuves juridiques dans les causes litigieuses, de marier les enfants mineurs de l’un et l’autre sexe qui manquent de tuteurs naturels, de procéder enfin au partage du butin légal » (9).
A l’origine, conformément aux institutions du Prophète, le Califat n’était pas un gouvernement despotique. « La loi théocratique islamique défend à tout individu d’agir capricieusement, d’après ses seuls penchants personnels ; elle ordonne de protéger les droits des particuliers ; elle impose au souverain l’obligation de prendre conseil avant d’agir. Cette loi a été imposée par Dieu à son Prophète impeccable, quoique, comme tel, il n’eût besoin de consulter personne, puisqu’il agissait sous l’inspiration divine et qu’il était doué de toutes les perfections. Or, cela n’a été ordonné au Prophète que pour une haute raison qui était d’établir une règle obligatoire pour tous les chefs qui viendraient après lui » (10).
Cette théorie tomba en désuétude lorsque les Arabes, élargissant leurs conquêtes, se trouvèrent mêlés à des peuples habitués au pouvoir despotique, comme les Syriens, les Perses, les Égyptiens, etc. Le Calife devint un souverain absolu et le Califat, une sorte de gouvernement despotique militaire qui eut son apogée vers le deuxième siècle de l’Hégire, avec la dynastie des Abbassides. Comme c’est à ce moment que furent fixés, par la loi, les fondements des différentes institutions, il en résulta que la doctrine relative au gouvernement s’inspira tout naturellement de ce qui existait alors et que le principe du pouvoir absolu du Calife devint un dogme. Les docteurs de la foi qui rédigèrent les textes législatifs se réservèrent bien une part dans le gouvernement, en spécifiant que le prince ne pourrait prendre une décision qu’après les avoir consultés ; mais comme ils étaient à la merci de son bon plaisir, c’est lui qui, en réalité, exerça le pouvoir sans contrôle.
En fait, le souverain musulman est un monarque absolu, doublé d’un chef militaire et religieux. Il a droit de vie et de mort sur ses, sujets. La meilleure preuve en est que ceux-ci paient un impôt de capitation, sorte de rançon ou de permission de vivre dont la quittance porte ces mots significatifs : rachat du coupement de tête. Celui qui possède n’est que l’usufruitier de son bien. Quand il meurt, le souverain peut exiger tout ou partie de son héritage.
Le rôle du prince serait écrasant pour un homme seul ; mais en Orient, où l’on est volontiers partisan du principe du moindre effort les Califes trouvèrent vite un moyen d’alléger leur tâche en déléguant leurs pouvoirs à un vizir.
Celui-ci confia les siens au Pacha : ce dernier se déchargea de ses devoirs sur le Bey ; celui-ci sur le Caïd et le Caïd sur le Cheikh. Une pareille division de l’autorité augmente le nombre des oppresseurs, favorise la concussion et livre les populations à une tourbe innombrable de parasites.
Le vizir remplace le souverain dans l’administration des affaires, le commandement de l’armée, la surveillance des fonctionnaires. Son poste est périlleux ; celui qui l’exerce sert de tampon entre le prince et le peuple ; il subit les caprices de l’un et encourt les haines de l’autre ; mais la fonction est si lucrative, elle permet de telles concussions, que les candidats n’ont jamais manqué.
Les décisions administratives sont prises par un divan, un conseil d’Etat, composé de hauts personnages, mais ceux-ci, occupés à mériter les faveurs du prince ou de son vizir, ne sont que des êtres serviles, prêts à toutes les compromissions.
Les oulémas ou docteurs en théologie et jurisprudence forment un corps spécial, chargé de veiller à l’observation des lois fondamentales, de contrôler, au nom des dogmes religieux, les décrets rendus par le Conseil d’Etat. Ce contrôle est purement théorique, puisque les oulémas dépendent du bon plaisir du souverain. Les oulémas sont, en outre chargés de rendre la justice. Leur chef suprême est le Cheikh-El-Islam qui doit être consulté quand une loi est édictée, un impôt établi, une guerre entreprise ; il a, sous ses ordres, des Cadis qui rendent la justice sans appel.
L’autorité purement civile est exercée par des pachas ou gouverneurs, qui ont pour mission de veiller au maintien de l’ordre et au paiement des impôts.
En principe, il ne peut exister qu’un souverain dans l’Islam : le Commandeur des Croyants. D’après les Hadith, il doit être d’origine Koréichite, mais en l’absence d’un Koréichite, c’est celui qui dispose momentanément de la force matérielle qui veille aux intérêts de l’Empire. Sa nationalité importe peu. Le musulman n’a qu’une patrie : l’Islam. Il ne meurt pas pour son pays, mais pour sa foi. Il n’est ni Turc, ni Égyptien, ni Arabe ; il est le Croyant.
En somme, le gouvernement califal est un gouvernement barbare ; c’est celui d’une minorité conquérante, occupant des pays soumis par la force et n’ayant d’autre souci que de les exploiter à son profit. C’est un gouvernement de parasites, indifférent aux besoins et aux intérêts de la collectivité. L’Arabe, incapable d’innover, en est resté à la conception primitive de gouvernement, imposée par les circonstances, au temps où il se ruait à la conquête du monde.
La condition de la femme. – A s’en tenir aux prescriptions du Koran et aux paroles du Prophète, la femme musulmane pourrait passer pour jouir d’un traitement de faveur. En bon diplomate, Mahomet s’est efforcé, aux heures où il luttait contre l’hostilité de son peuple, de gagner la femme à sa cause, de s’en faire une alliée. Ce désir se révèle dans tous ses discours et, en somme, la bédouine lui doit beaucoup. Avant lui, elle était une sorte d’être inférieur, sans droit, asservie au bon plaisir du mâle. II s’efforça d’atténuer l’égoïsme des coutumes barbares dont elle était victime.
Les exhortations à la bonté abondent dans le Koran :
« Craignez le Seigneur et respectez les entrailles qui vous ont portés… O croyants ! Il ne vous est pas permis de vous constituer héritiers de vos femmes contre leur gré, ni de les empêcher de se marier quand vous les avez répudiées, afin de leur ravir une portion de ce que vous leur avez donné. Soyez bons dans vos procédés à leur égard. Si vous désirez changer une femme contre une autre et que vous ayez donné à l’une d’elles cent dinars, ne lui en ôtez rien ».(11)
« Gardez-vous votre femme ? Traitez-là honnêtement ; la renvoyez-vous ? Renvoyez-là avec générosité (12).
Même esprit de bienveillance dans les paroles du Prophète, recueillies dans les Hadith :
« Dieu vous commande d’être bons pour vos femmes ; elles sont vos mères, vos filles, vos tantes ».
Dans ses actes, Mahomet donnait l’exemple de la bienveillance. Souvent, il s’amusait avec ses femmes. On raconte qu’un jour, comme il jouait à la course avec Aïcha, celle-ci le dépassa; mais la seconde fois, ce fut le Prophète qui gagna. Alors, Mahomet lui dit: « La partie est égale ô Aïcha ». (13)
Un jour, ayant invité des Abyssins à venir jouer dans son logis, il pria sa femme d’assister à leurs jeux ; mais pour qu’elle ne fut pas aperçue des spectateurs, il la plaça entre les deux portes de la maison, se mit devant elle et resta ainsi debout jusqu’à ce qu’elle eût fini de contempler les joueurs. Puis, quand son épouse fut rentrée chez elle, le Prophète, s’adressant aux spectateurs, leur dit : « Le meilleur des Croyants est celui qui a le plus de douceur et de délicatesse envers les femmes. Le premier parmi vous est celui qui est le plus aimable avec ses femmes et je suis meilleur que vous vis-à-vis des miennes.(14)
Avant sa mort, Mahomet insista encore en faveur d’une cause qui lui était chère ; «Traitez bien les femmes ; elles sont vos aides et elles ne peuvent rien par elles seules ; vous les avez prises comme un bien que Dieu vous a confié et vous avez pris possession d’elles par des paroles divines ».
Il faut, d’ailleurs, reconnaître que le Prophète a fait aussi quelques concessions à la jalousie du mâle et qu’il a reconnu certaines coutumes arabes : « Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises, celles qui désobéissent, vous les relèguerez dans une couche à part et vous, les battrez » (15)
« Commande aux femmes qui croient de baisser leurs yeux, d’observer la continence, de ne laisser voir de leurs ornements que ce qui est a l’extérieur, de couvrir leur sein d’un voile, de ne faire voir leurs ornements qu’à leur mari, à leur père, au père de leur mari… aux enfants qui ne distinguent pas encore les parties sexuelles. Que les femmes n’agitent point leurs pieds de manière à montrer leurs ornements cachés » (16).
Une femme demanda un jour au Prophète quels sont les devoirs de la femme envers l’homme. Il lui répondit : « La femme ne doit pas sortir de chez elle, sans l’autorisation de son mari ; c’est cette considération qui justifie l’usage du voile » (17).
Dans l’intimité, elle doit se plier à tous les désirs du mâle « Allez à votre champ comme vous le voudrez » (18) ; ce que les commentateurs expliquent de la façon suivante : Venite ad agrum vestrum quomodocumque volueritis, id est stando, sedendo, jacendo a parte anteriori, seu posteriori.
Mahomet n’a pas parlé de l’instruction de la femme. La plupart des commentateurs estiment qu’on doit lui interdire l’écriture, la poésie, la composition, par le fait que ces études renferment un élément pernicieux qui peut gâter leur esprit et leur caractère.
Si l’on tient compte des habitudes de son époque, il est incontestable que le Prophète a sensiblement amélioré la condition de la femme ; mais il s’est produit pour elle, ce qui s’est produit dans la société musulmane, dans tous les ordres d’idées.
Mahomet était de son temps; il ne pouvait prévoir l’évolution qui devait s’accomplir après lui, dans les idées et dans les moeurs. Ses paroles s’appliquaient au présent et non à l’avenir. S’il avait pu entrevoir cet avenir, il est probable, étant donné son esprit, qu’il en aurait accepté les progrès. Malheureusement, les interprétateurs orthodoxes du Koran et des Hadith, animés d’une intelligence étroite et s’obstinant, dans leur aveuglement fanatique, à s’en tenir à la lettre et non à l’esprit des textes sacrés, fixèrent pour toujours la condition de la musulmane et comme ils prirent pour base les coutumes de l’époque, ils rendirent impossible toute amélioration ultérieure. L’humanité a réalisé des progrès depuis le deuxième siècle de l’Hégire ; la société musulmane n’a pu suivre cette évolution.
Il en résulte que la femme est traitée aujourd’hui, dans l’Islam, comme étaient traitées ses aïeules du temps du Prophète. Or, ce qui étai alors un progrès est aujourd’hui un recul.
La musulmane pense et agit comme pensaient et agissaient les femmes de Mahomet. Isolée de la vie extérieure, elle reste dans la barbarie des coutumes ancestrales. Sa condition actuelle si on la compare à celle des femmes des autres religions, est celle d’une esclave. Animal de luxe, bête à plaisir chez le riche, bête de somme chez le pauvre, elle n’est qu’une pauvre créature livrée au bon plaisir du mâle. Condamnée à l’ignorance par l’égoïsme de l’homme, elle ne peut même pas espérer en l’avenir. Elle est la cloîtrée perpétuelle, l’esclave éternelle. Son ignorance, sa barbarie pèsent sur les enfants qu’elle élève et à qui elle transmet ses préjugés et ses préventions. Ignorante, elle crée des ignorants ; barbare, elle répand autour d’elle la barbarie. Esclave, elle donne à ses enfants des âmes d’esclaves, avec tous les défauts des êtres serviles : la dissimulation, la fourberie et le mensonge.
Le Commerce. – On l’a déjà dit, mais on ne saurait trop le répéter, tout, dans la société musulmane, revêt un caractère religieux. Toutes les manifestations de l’activité humaine sont soumises aux dogmes, ne peuvent se développer que dans les limites permises et fixées par les règles de la loi. Le commerce n’échappe pas à cette tutelle ; les lois qui le régissent s’inspirent de considérations religieuses.
« L’objet de tout contrat, dit Khalil, doit être : 1- Exempt de souillure ; 2- Utile ; 3- Licite ; 4- Possible. Ainsi ne peuvent être l’objet d’un contrat : le fumier, l’huile avariée, la chair défendue, l’animal sur le point de mourir, le chien de chasse, l’esclave en fuite, le chameau perdu, la chose retenue par violence en mains tierces ».
Le Koran ayant défendu l’usure (19), les interprétateurs ont surenchéri sur cette interdiction.
Par usure, la loi musulmane désigne non seulement le gain illicite, tel que nous le concevons, mais « tout profit ou avantage prélevé ou laissé dans le change des matières d’or et d’argent ou l’échange de denrées alimentaires…, le salaire prélevé en nature par l’orfèvre sur le poids du métal à façonner, ou par le maître du pressoir sur le poids des olives à écraser ; toute combinaison suspecte de déguiser un prêt sous la forme d’une vente ou d’aboutir à un avantage usuraire ».(20)
Dans son désir d’empêcher l’usure, le législateur musulman tombe dans des subtilités qui frisent l’absurde. Telle est la clause suivante :
« On ne peut acheter pour or, ce qui a été vendu à terme pour argent, ni pour une monnaie, ce que l’on a vendu pour une autre » (21)
Le prêt à intérêt est interdit en principe, mais comme il était difficile de le supprimer radicalement, on l’a remplacé par la commandite et par le pacte réel.
« La commandite est un contrat par lequel on confie des fonds à un marchand, pour en trafiquer, à la condition de participer aux bénéfices » (22). Cette forme de prêt existait chez les anciens Arabes, bien avant l’Islam ; c’est par un contrat de ce genre, que Mahomet devint l’associé de Khadîdja.
« Le pacte réel est un contrat onéreux, unilatéral, créant une obligation personnelle de donner un objet certain, corporel, d’autre espèce que la chose reçue et ne consistant pas en numéraire » (23)
L’attrait du gain étant, en réalité, l’élément principal de toute activité commerciale, le législateur n’a pu abolir le prêt à intérêt. Il combat énergiquement l’usure ; il déclare solennellement que l’échange de denrées ou d’objets ne doit donner lieu à aucun gain, mais il ajoute aussitôt cette restriction subtile : « à moins que ces choses ne diffèrent par l’usage auquel elles sont destinées.»
« Ainsi, on peut stipuler pour un âne de la race du Caire, deux ânes de race arabe ; pour un cheval de course, deux de bât ; de plus jeunes animaux, pour un plus âgé ; une épée de bonne fabrique pour des épées ordinaires » (24). Et voilà le prêt à intérêt toléré, autorisé. Qui empêchera le prêteur et l’obligé d’affirmer que le premier a donné un cheval de course au second, lequel s’engage à lui rendre deux chevaux de bât, bien qu’en réalité le cheval prêté soit identique aux chevaux rendus, l’un de ces derniers représentant l’intérêt du capital avancé ?
La Propriété. – En ce qui concerne la propriété, même désir et même impossibilité d’empêcher l’usure. L’hypothèque est défendue, mais elle est remplacée par le nantissement ou Rahnia. « On entend par rahnia ce qui est remis pour la sûreté d’une créance » (25). Comme notre droit civil, la loi musulmane distingue le gage ou nantissement d’une chose mobilière et l’antichrèse ou nantissement d’une chose immobilière.
Ce genre de contrat, loin d’empêcher l’usure, la favorise. Le créancier est autorisé à jouir du gage ; or, cette jouissance qui représente l’intérêt de son capital dépasse souvent en valeur ce que notre législation considère comme un taux licite. Dans la plupart des cas, l’emprunteur étant incapable de payer sa dette, le créancier conserve le gage dont il dispose, en véritable propriétaire, pour un prix dérisoire.
Chez un peuple barbare, la propriété est menacée de dangers multiples et, notamment, de spoliation. La loi musulmane s’efforce de la protéger et c’est dans ce but qu’elle a institué le habous, dont elle a trouvé l’inspiration dans les Novelles et les Institutes, de Justinien. Le habous est une institution, d’après laquelle le propriétaire d’un bien le rend inaliénable pour en affecter la jouissance au profit d’une oeuvre pieuse ou d’utilité générale, immédiatement ou à l’extinction des dévolutaires intermédiaires qu’il désigne (26). Le chef de famille met ainsi ce qu’il possède à l’abri des dilapidations de ses héritiers ou des convoitises et des entreprises des personnages influents.
A signaler également deux servitudes qui grèvent la propriété musulmane et qui furent et sont encore la cause de nombreux conflits, entre Européens et indigènes, dans nos colonies de l’Afrique du Nord : le droit de chasse et le droit de pâture.
« Nul ne peut interdire la chasse ou la pêche, même en ses domaines… Nul ne peut interdire la vaine pâture sur ses terres vagues ou dépouillées de leurs récoltes » (27).
C’est ce qui explique l’insouciance avec laquelle le Berbère algérien ou tunisien laisse ses troupeaux paître à l’aventure.
La propriété terrienne est soumise, chez les Arabes, au régime communiste. La terre appartient tient à Dieu, représenté par le Calife, lequel en abandonne la jouissance à la collectivité musulmane. Ce régime qui convient au nomadisme est néfaste au développement du labeur agricole.
Si, après avoir examiné les diverses institutions musulmanes, on voulait résumer brièvement son impression, on pourrait dire que ce qui frappe le plus c’est l’absence de toute originalité.
En matière de religion, l’Arabe s’est contenté d’accueillir des conceptions étrangères et de les adapter tant bien que mal à sa mentalité. Sa religion, c’est le christianisme déformé par le cerveau d’un Bédouin.
En matière de législation, obligé par ses conquêtes à administrer des peuples, il s’est borné à copier les lois qu’il a trouvées en vigueur, en les déformant par l’adjonction de ses us et coutumes. La législation musulmane, c’est le code romain, adapté au cerveau arabe.
En matière de gouvernement, il s’est inspiré du despotisme byzantin ou asiatique. Le Calife ressemble à un empereur de Byzance qui se serait converti à l’Islam.
Mais si, en matière de législation et de gouvernement, l’Arabe a dû accepter certaines idées étrangères, parce que des circonstances, plus fortes que sa volonté l’y contraignaient ; pour le reste, il est demeuré avec son cerveau de Bédouin barbare, incapable d’inventer, ni même d’améliorer.
En matière d’enseignement, il s’en est tenu à l’observation étroite des préceptes du Koran ; pour lui, l’idéal suprême du savoir humain, c’est de s’élever jusqu’à la lecture du Livre révélé.
En ce qui concerne la famille, il a conservé les principes barbares de la société primitive : la femme est une esclave asservie aux passions et à l’égoïsme du mâle.
En ce qui concerne la propriété, il en est encore au communisme patriarcal.
Dans toutes les manifestations de l’activité intellectuelle, l’Arabe apparaît comme une sorte de paralytique ; il subit ce qu’il ne peut éviter; il se résigne à ce qui est, mais il ne manifeste aucune initiative, aucun désir de franchir l’étroit horizon dans lequel il est emprisonné. Et comme il a imprégné l’Islam de ce principe du moindre effort, de cette résignation, de cette inertie, il en résulte que tous les peuples qui ont adopté cette religion, ont été, après quelques générations, frappés de la même paralysie intellectuelle, de la même immobilité, de la même inaptitude à évoluer.
L’Islam, expression du génie arabe, a nivelé toutes les intelligences à la mesure du cerveau arabe. Tous les musulmans pensent donc et agissent comme un Arabe, c’est-à-dire comme un Bédouin du temps de Mahomet.
(01) SEIGNETTE. – Introduction à la trad. de khalil.
(02) SAWAS PACHA. – Etude sur le Droit musulman.
(03) S.LEVY.- Moise, Jésus, Mahomet.
(04) SAWAS PACHA.
(05) IBN-KHALDOUN. – Prolégomènes. – EBN-SINA. – De divisione scientarum.
(06) SAWAS PACHA.
(07) YACOUB ARTIN PACHA. – l’instruction publique en Egypte.
(08) SAWAS PACHA. – Essai sur la théorie du Droit musulman.
(09) CATHECHISME de l’imam Nedjem-el-Din Nassafi.
(10) IBN-KHALDOUN. – Du Souverain.
(11) KORAN. – Ch. 4.
(12) KORAN. – Ch. 2.
(13) Epanouissement de la fleur, par le Cheikh Mohammed-es-Senoussi.
(14) CHEIKH MOHAMMED-Es-Senoussi.
(15) KORAN. – Ch.4, V.38.
(16) KORAN. – Ch. 24.
(17) CHEIKH MOHAMMED-Es-Senoussi.
(18) KORAN. – Ch.2.
(19) KORAN. – Ch.3, V.125.
(20) KHALIL. – Titre. I, Ch. 2.
(21) KHALIL. T. I, Ch.2.
(22) IBN-ARFA.
(23) IBN-ARFA.
(24) KHALIL. – Titre II, Ch. 1.
(25) IBN-ARFA.
(26) J. TERRAS. – Essai sur les biens Habous.
(27) KHALIL. – Titre 21. Ch. 2.