A ce jeune âge, les gamins-racailles ne risquent pas grand-chose au niveau de la justice Française. Ce sont les plus grands (majeurs) qui les envoient au « combat »… Mais le résultat est le même.
FDF
Ils mesurent un mètre quarante et ont une douzaine d’années, parfois 14 ans, rarement plus. Nuit tombante, ils traînent leur ennui au pied des immeubles, rue de Kiev, au coeur de la Reynerie, le quartier le plus difficile du Mirail à Toulouse, là où explosent régulièrement les violences urbaines.
« C’est eux qui caillassent les policiers et brûlent les voitures. » : « Beng », 29 ans, une figure respectée de la cité, offre le thé dans un verre en plastique au milieu du parking, assis sur le capot d’une voiture. Il regarde les adolescents qui traitent les policiers de « fils de pute » : « C’est comme un rite d’initiation, un passage obligé quand on grandit ici », devise le jeune homme, qui a passé près de six ans en détention sur les dix dernières années pour des « casses » et des vols. (Un exemple, quoi…)
La nouvelle génération inquiète les « grands frères » trentenaires, pourtant confrontés à des émeutes extrêmement violentes en 1998, après la mort d’un jeune du quartier tué par un policier, en 2005 pendant la crise des banlieues et en 2007 par solidarité avec les émeutiers de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise).
« La colère est plus violente, plus imprévisible aujourd’hui. Avant, on savait quand ça allait péter. Aujourd’hui, ça peut partir n’importe quand, n’importe comment, s’alarme Beng en réclamant un strict anonymat, comme tous les jeunes présents. Et il y a des armes qui circulent, ce qu’on n’avait pas à l’époque. »
Maurice, 27 ans, père de deux enfants, peintre en bâtiment, approuve. Lui est assis dans la voiture et papote, fenêtres ouvertes, dans les effluves de cannabis : « Le shit, ça nous anesthésie. C’est peut-être pour ça qu’ils laissent faire, même s’ils viennent taper (interpeller> des jeunes de temps en temps », explique-t-il après avoir demandé ses papiers au journaliste.
Dire que la Reynerie va mal est un euphémisme. Taux de chômage des 16-25 ans : 42 %. Proportion de ménages non imposés : 64 %. Revenu moyen trois fois plus faible que dans le reste de la ville. Proportion de non diplômés très élevée. Arrivée continue d’immigrés clandestins. Et climat sécuritaire dégradé avec son lot de « caillassages » des forces de l’ordre et d’incendies de voitures – plus de 2 000 au total sur l’agglomération toulousaine depuis le début de l’année, avant la nuit, toujours très sensible, de la Saint-Sylvestre.
« Le quartier est désespéré », s’inquiète Jean-Pierre Havrin, adjoint au maire (PS), ancien commissaire de police. « C’est le secteur le plus difficile, celui où la rénovation urbaine a le moins avancé », reconnaît le sous-préfet à la ville, Yann Ludmann. « Depuis dix ans, le quartier n’a pas cessé de se dégrader », se désole Fatima Boumjri, 41 ans, adulte-relais, en regrettant la « convivialité » de cette cité modèle des années 1970 lorsqu’il y avait encore un minimum de mixité sociale.
L’Etat et les collectivités locales consacrent pourtant des moyens importants à la politique de la ville. Pour démolir ce qui avait été rénové il y a dix ou vingt ans. Pour réhabiliter, avec retard par rapport aux autres quartiers, les immeubles les plus dégradés.
Pour soutenir les associations de terrain, aussi, lesquelles se félicitent de bénéficier d’un « véritable » soutien. « On n’avait jamais ressenti un tel investissement des pouvoirs publics », note Hassan Benyaou, 38 ans, médiateur et responsable associatif. Mais si l’Etat sait faire de l’urbanisme, il se trouve désarmé face à la prise de pouvoir adolescente, ce « coup d’Etat » générationnel qui conduit quelques dizaines à centaines de jeunes mâles, de 12 à 25 ans, souvent déscolarisés, à occuper et dominer l’espace public, devenu « leur » territoire de jeux et d’ennui, de trafics aussi, notamment l’après-midi et le soir.
Leurs pères observent le manège des jeunes hommes, le critiquent à mots voilés. Mais sans pouvoir ni vouloir intervenir : « Ici, personne ne te touche si tu fermes les yeux et si tu te tais. Donc tu fermes ton bec », explique Sid Ahmed Ben Chehida, 55 ans, père de sept enfants qui trompe le temps en fumant des cigarettes avec ses vieux amis sur la place centrale de la cité.
« Nos parents nous ont éduqués selon le modèle du « bled », très autoritaire : tu respectes les anciens et tu ne contestes pas, explique Hassan Benyaou. Ça a bien marché jusque dans les années 2000. A partir de ce moment, c’est la deuxième génération, la nôtre, qui est devenue adulte et qui a dû élever les gamins. Mais nous, on n’avait plus ce modèle éducatif en tête. Et comme, en plus, notre génération a été fragilisée par le chômage, la toxicomanie, la misère, les divorces, on n’a pas su donner l’éducation qu’il fallait. »
Or le ressentiment des deuxièmes générations s’est transformé en « haine » des institutions pour leurs enfants, convaincus d’être enfermés dans une « prison à ciel ouvert », furieux de constater que, comme leurs pères et leurs mères, ils restent des Français de seconde zone. « Il n’y a pas de murs pour nous enfermer, mais c’est un ghetto mental », résume Beng.
Un ghetto psychologique, accentué par la réputation déplorable du Mirail qui complique un peu plus encore les recherches d’emplois pour ses habitants. « Nos quartiers ont des frontières qui ne font pas partie de l’espace Schengen », sourit tristement Sidali Belkacem, 35 ans, président du club de football du quartier, effaré par l’angoisse des joueurs extérieurs lorsqu’ils doivent venir jouer dans la cité.
Sur le parking, les trentenaires finissent leurs joints de cannabis. La crise économique n’a pas fondamentalement changé la donne, constatent-ils. Au pire, ils ont reculé d’une case dans la file d’attente de l’emploi. Ce qui les agace beaucoup plus profondément, c’est la focalisation croissante de la société française sur l’islam. Après le voile, la burqa. Puis les minarets. Et l’identité nationale. « Qu’est-ce qu’ils cherchent là-haut ? Qu’on se dise qu’on ne pourra jamais être des Français comme les autres ? Ils veulent quoi ? Nous pousser à bout ? Mais ça va s’arrêter où ? », interroge Beng. A proximité, les voitures de police ne cessent d’aller et venir, au ralenti. Mais elles prennent soin de ne jamais s’arrêter. Ca vaut mieux…