Marine Le Pen, c’est incontestable, fait preuve d’une grande habilité dans le repositionnement du discours du FN. Beaucoup a été dit sur le sujet. Mais l’analyse de l’offre politique risque d’escamoter ce qui relève de la demande.
L’événement est là, dans l’ampleur du phénomène « milieux populaires », dans ce qui est en train de surgir dans 30% de la population française. Certes, tous les électeurs des milieux populaires ne se tournent pas vers Marine Le Pen. Mais son potentiel électoral existe. Et il est probable que, d’ici à la présidentielle, cette logique se développe aussi dans les milieux intermédiaires au fur et à mesure que la dégradation sociale gagnera du terrain.
Ce que nous constatons contredit les explications habituelles du vote FN : ce n’est plus un vote ni de sanction, ni d’avertissement, ni de protestation, ni un vote par défaut. Le vote pour le FN de Marine Le Pen devient un vote « pour ». Je ne dis pas qu’il est de conviction ou d’adhésion. C’est un vote – pour l’heure, en tout cas, une intention de vote – « d’empathie de points de vue ».
La crise, c’est maintenant
L’accumulation des augmentations de prix durant les premiers mois de 2011 produit un effet désastreux. Prix alimentaires, contraventions, logement, gaz, carburants : l’impression qui domine est que l’Etat, les distributeurs, les grandes entreprises « grattent partout où ils peuvent gratter ».
Ces augmentations se traduisent de façon catégoriquement différente pour le haut des classes moyennes et pour les milieux populaires. Les premiers réduisent leur consommation. Les seconds, eux, ne peuvent plus boucler leur budget et se restreignent sur les fondamentaux de la vie quotidienne : chauffage, alimentation, santé, déplacements… Pour les premiers, le quotidien devient plus dur ; pour les seconds, il est entré en crise.
Les milieux populaires ne vivent plus sous la menace d’une crise, mais dans l’urgence de ces premiers dégâts. Cette détérioration de leur présent fait système avec le chômage. Peu leur importe qu’il augmente ou baisse de 0,5 ou de 1%.
Ces chiffres n’ont aucun impact sur eux car le chômage, à leurs yeux, n’est pas une donnée statistique ; il est à la fois une menace personnelle et le levier d’une transformation de l’emploi qui participe à la destruction du présent : temps partiel contraint, CDD, baisse des salaires, déclassement, exclusion des jeunes. Le présent se défait et il devient impossible de se projeter dans l’avenir.
La crise de la vie quotidienne s’articule avec une autre fragilisation qui, elle, a trait aux difficultés d’intégration des populations émigrées. La France, dont la dette est systématiquement évoquée par les personnes que nous avons rencontrées, n’a plus les moyens, affirment-ils, d’intégrer des flux d’émigrés qui s’intensifient, notamment suite aux révolutions des pays arabes. Les flux migratoires augmentent, tandis que diminuent les capacités économiques qui permettaient leur intégration.
Nos interlocuteurs, répétons-le, ont voté en 2007 pour le PS ou l’UMP, ce ne sont pas des électeurs historiques du FN : ils peuvent avoir un discours virulent contre les flux migratoires, sans tenir pour autant des propos xénophobes ou racistes.
Leur position est imperméable à la contre-argumentation fondée sur les valeurs de tolérance. Ils ont le sentiment que ce sont eux et eux seuls qui font les frais des échecs de l’intégration auxquels ils sont physiquement confrontés. La question du lieu de résidence est ici déterminante : « Ceux qui vivent là où je vis savent bien ce que c’est ; ceux qui vivent en centre-ville, eux, nous prennent pour des racistes. »
Cette crise du quotidien se traduit par un terme : l’insécurité. Mais pour les personnes interrogées, l’insécurité n’est pas que physique, elle englobe les différentes dimensions du délitement de la vie quotidienne : insécurité économique avec la crise des budgets familiaux ; insécurité de l’emploi ; insécurité physique et culturelle face aux échecs de l’intégration et à la montée en puissance de normes religieuses dans les pratiques relationnelles, vestimentaires, alimentaires. L’insécurité n’est pas une inquiétude parmi d’autres : elle désigne la nature même de la relation que les milieux populaires entretiennent avec la réalité.
La mondialisation sur le dos du peuple
Ce qui apparaît injuste aujourd’hui, ce sont moins les inégalités que les détournements du fonctionnement social. Les milieux populaires détestent les tricheurs. Il y a les profiteurs d’en bas, ceux qui travaillent au noir, détournent les prestations sociales et savent se débrouiller pour obtenir des aides, des logements.
Cette injustice « par le bas » s’articule à une injustice « par le haut ». L’inacceptable, pour les milieux populaires, ce n’est pas tant l’écart considérable qui les sépare de l’ »oligarchie financière » – grands patrons, actionnaires du CAC 40, traders… C’est que cet écart se creuse !
Appauvrissement des milieux populaires d’un côté, amélioration « historique » des résultats des entreprises du CAC 40, de l’autre. Entre ces deux mouvements, nos interlocuteurs établissent une relation de cause à effet : plus nous nous fragilisons, plus ils se renforcent. Certains y voient même un mécanisme délibéré.
Pour prendre la mesure de cette corrélation, ajoutons que c’est à travers cette oligarchie que la mondialisation impose sa loi aux nations et à la France en particulier. Autrement dit, cette oligarchie est le levier de la mondialisation dont la France est l’objet.
Par ailleurs, la répétition des scandales politico-affairistes a renforcé l’idée d’une intrication des politiques et des acteurs de la mondialisation financière, si bien que le pouvoir est partie prenante de cette injustice.
Conséquence, les milieux populaires perçoivent de plus en plus nettement que la mondialisation se fait sur leur dos. Pour contrecarrer ce processus, les électeurs rencontrés estiment ne pouvoir compter ni sur les politiques de gauche, trop tièdes face à la mondialisation, ni sur ceux de droite, dont on ne peut attendre qu’ils jouent contre leur camp.
Trancher le nœud gordien
Comment trouver une sortie, en urgence, à une situation devenue insupportable et si complexe qu’elle paraît impossible à démêler ? Pour répondre à cette question, l’attente politique des milieux populaires ne se formule pas dans le registre de l’action (ou du programme) mais dans celui de l’acte. Clarifions cette distinction.
Une déclaration de guerre est un acte qui ouvre la voie aux actions militaires. L’acte est fondateur d’une nouvelle réalité dont l’action, elle, est une mise en œuvre. L’acte tranche, il trace un seuil. La situation actuelle, rendue illisible pour les profanes par les discours d’expertises politiques et économiques, est comme le nœud gordien. S’il est trop complexe, trop enchevêtré pour être dénoué fil à fil, alors il faut le trancher.
Les électeurs voient en Marine Le Pen la seule responsable politique capable de trancher et ne sont nullement ébranlés lorsqu’on les questionne sur la teneur de son programme : peu importent les détails, rétorquent-ils, ce qui compte, c’est que nous sentions Marine Le Pen à même de passer à autre chose que tout ce qui a été essayé jusqu’ici. Persuadés que les électeurs ne veulent que du concret, les partis républicains et démocratiques perdent la main face au Front national sur ce qui est essentiel : le diagnostic de l’expérience vécue par les milieux populaires.
Cette étude s’appuie sur une série d’entretiens conduits avec Evelyne Brun, en février et mars 2011, auprès de personnes de milieux populaires ayant voté en 2007 pour Nicolas Sarkozy ou pour Ségolène Royal. Les résultats de ces entretiens sont mis en perspective avec 120 entretiens qualitatifs réalisés en 2008, 2009 et 2010 sur les attitudes des Français face à la crise.
Alain Mergier, directeur de l’institut Wei
Article publié dans Le Nouvel Observateur du 1er juin 2011.
DSK: grandeur et décadence…
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Pas mal, cette réflexion de Me Gilbert Collard… Jetez un coup d’oeil aux commentaires dans la source, en bas de page.
FDF
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DSK : Desir Suicidaire Kafkaïen
Libres propos de Gilbert Collard
Quel traumatisme que la grandeur et la décadence d’un puissant de ce monde ! Voyeurisme et écœurement : on a assisté en direct à la chute d’un homme du haut de l’édifice qu’il avait patiemment construit, depuis des années d’ambition pour accéder au pouvoir. Il est tombé à nos pieds, de plus haut que de l’Empire state building, dans une flaque de honte. On a été médusé d’apprendre, au petit matin des croissants chauds et du journal froid, que le directeur du fond monétaire international, futur candidat à la présidence de la République, instrumentiste, comme d’autres, dans l’orphéon de la bien-pensance socialiste, était prisonnier de la réalité d’une série américaine pour avoir commis une tentative de viol franchement dégueulasse, si elle était avérée.
Tout de suite, les amis de son bord ont brandi le bouclier de la présomption d’innocence ! On ne peut que s’en féliciter, tant il est vrai que le coupable d’aujourd’hui peut être l’innocent de demain. À regarder de près les déclarations des uns et des autres, on est consterné par leur hypocrisie idéologique, qui a indigné la presse internationale. Aucun, jusqu’à mardi, n’a eu un mot, une pensée, une aumône de compassion pour l’éventuelle victime qui avait droit, elle aussi, au bénéfice d’une présomption de sincérité. Entre les deux, on n’avait pas le droit de choisir. On a tout entendu. Un téléspectateur, ignorant l’information de base, aurait pu croire au décès de DSK. Les pensées de Martine Aubry, de Hollande, de Ségolène Royal, et de tous les autres faux culs, allaient à la famille, aux proches, dans la douleur ! À droite, c’était le silence prudent des lâches, qui craignaient la visibilité du bénéfice politique.
Tapie, attablé, pour combler de son rot le vide médiatique qui par horreur du vide recherche le vide, à même éructé qu’il n’imaginait pas DSK faire « cette connerie », « pour une femme de ménage ! » Quand un journaliste lui a dit : « Marine Le Pen a déclaré que c’est une honte pour la France », il a répondu, « la honte pour la France ce sont les 20 % de Français qui la soutiennent » ! Cette phrase a été enlevée par la suite… 20 % de Français peuvent donc s’honorer, au moins, de n’avoir point la reconnaissance morale de Bernard Tapie, ce qui devrait, de fait, les rendre plus fréquentables, et leur éviter les ennuis judiciaires de Christiane Lagarde… Pas un mot pour la victime. Et les avocats, du susdit DSK, sans allusion sémantique à l’infraction, n’ont pas hésité à juger qu’elle « était moche » ! Il fallait un grand moment de nombril dans cette défense du pénis pardonné. Bernard Henri Lévy fut, sur France Inter, à la hauteur de son ego te absolvo…Interrogé sur l’hypothèse d’un doute à propos de l’innocence de DSK, il le prit très mal, et s’emporta avec sa voix de vieux théâtreux indigné systématique du système, pour vociférer : « Est-ce que je doute de quoi, vous vous foutez de ma gueule ? Vous pensez une seconde que nous serions amis si je pensais que DSK était un violeur compulsif, un homme de Neandertal ? Tout çà est absolument grotesque ! » Quand on a la chance d’entrer dans le cercle des amis du philosophe qui ne philosophe plus, on est, de fait, forcément irréprochable… C’est la preuve morale par le moi, une sorte de décontamination par fréquentation avec l’usine d’étuvage universelle que représente à lui tout seul notre col blanc qui lave plus blanc. J’imagine la défense de DSK présentant cette preuve ontologique, l’amitié d’un irréprochable référent. Il y en a eu d’autres, d’habitude prompt à donner la fessée morale, Jean François Khan, voit dans l’accusation : « un troussage domestique », « une imprudence » ; à lui tout seul il rétablit le droit de cuissage ancillaire; pour Jack Lang, « il n’y a pas mort d’homme », sauf qu’il s’agirait ici de la mort d’une vie de femme… pour Chevènement, qui confond Rikers Island avec l’île du Diable, on devrait se rappeler l’affaire Dreyfus… L’affaire Dreyfus ? Il est malade !
Que pèse une pauvre femme de chambre, immigrée, noire, devant la carrière brisée du directeur du fond monétaire, candidat à la présidence de la République, et socialiste, donc du bon côté des mots ?
Devant ce dégobillage de misogynie, Gisèle Halimi est enfin sortie de son silence, pour crier sa colère contre ces socialistes qui n’en sont pas et pour rappeler l’horreur du viol. D’un coup, on s’est fendu dans tous les discours d’un petit mot réchauffé pour l’éventuelle victime. Un rattrapage médiatique tardif et tellement conventionnel. Ce qui a fait écrire à un journaliste étranger dans le courrier international du 19 au 25 mai : « Manier la double morale en toute impunité est la dernière conquête dialectique de la gauche » . Au-delà des faits, qu’ils soient avérés ou pas, cette analyse de classe restera. Dès les premiers instants, un choix a été fait. Entre le fort et le faible, la caste politique a choisi le fort au mépris de la présomption d’innocence de la victime, présomption tout aussi respectable que celle de l’inculpé, allant jusqu’à croire à un improbable complot.
Pourquoi ? D’abord, parce qu’un homme de gauche est forcément féministe, anti raciste, ami des pauvres, du cœur, comme Tartuffe était l’ami de la religion. Les autres, des salauds, y compris la femme de ménage ! Ensuite, parce qu’on n’arrive pas à comprendre le passage à l’acte, même préparé par tout ce qu’on apprend et qui était connu de tous, surtout d’un ancien ministre de l’intérieur, monsieur Nicolas Sarkozy. Comment peut-on risquer de tout perdre ? C’est précisément la question du passage à l’acte ! C’est un fracas qui emporte les digues morales dans un sentiment d’impunité. Au demeurant, tout est possible, même l’innocence de DSK, mais alors pourquoi ne raconte-t-il pas tout de suite sa version des faits, dont, s’il est innocent il peut être sûr ? Il avait le droit de garder le silence et son mutisme n’est pas incriminant, mais quel meilleur moyen de se défendre quand on est victime d’un complot, qu’en le dénonçant tout de suite ?
On aura des réponses à toutes ces interrogations.
Il y a une question, quelle que soit la vérité judiciaire, à laquelle on n’aura pas de réponse et qui ne concerne pas l’accusé : pourquoi la France qui parle, qui écrit, qui moralise, qui stigmatise, qui ostracise, qui pense bien, a-t-elle fait de cette jeune femme noire, immigrée, pauvre, une orpheline de notre considération officielle ?
On a pleuré sur les photos dégradantes du prisonnier. Je suis d’accord. Mais on n’a rien dit quand Paris Match a exhibé la photo dépoitraillée, échevelée, effarée de madame Gbagbo. Là, c’était bien, on était dans notre bon droit moral d’exhiber l’Africaine déchue, qui a aussi des enfants ! Quant à la présumée victime de DSK, on n’aura aucune photo de son visage en larmes. Elle est, elle aussi, prisonnière de cette histoire, obligée de vivre cachée.
Cette triste affaire aura au moins eu le mérite de montrer l’autre versant des mots, le versant vulvaire, hypocrite, le déchirement dont on crève entre ‘le faire et le dire’, dont Montaigne disait que « c’est une bien belle chose quand ils vont ensemble ».
Source: http://www.nationspresse.info/?p=133647#more-133647