Sujet délicat s’il en est… Ca rappelle de sombres histoires qui se sont passées le siècle dernier.
Mais, sur le principe de forcer à travailler ceux à qui ça fait peur, et qui sont (trop) habitués à profiter des largesses du système qui leur est exclusivement réservé, et ce, sans avoir à mettre leur réveil le matin, ça donne à réfléchir; mais sérieusement. Sans en venir à ces principes à la hongroise un peu trop stigmatisants, on pourrait faire l’effort de s’atteler au problème.
FDF
![le-travail[7]](https://francaisdefrance.files.wordpress.com/2011/11/le-travail7.jpg?w=453&h=480)
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A Gyöngyöspata, fief des milices d’extrême droite hongroises, les Roms ont été mis au travail forcé depuis septembre. 150 euros par mois pour débroussailler, planter des arbres ou rénover le poste de police locale. La blogueuse et romancière Djemâa Chraïti s’est rendu sur place. Elle raconte les humiliations permanentes, la pauvreté et la ségrégation. Reportage.
Jeudi 27 octobre, 13h. Tout est calme dans le village de Gyöngyöspata, 2 800 habitants, rarement mentionné sur les cartes routières et pourtant devenu le centre de tous les regards depuis que les milices Véderö y ont installé au printemps dernier leur camp d’entraînement avec lasers, bergers allemands, matraques et surtout toute leur haine.
Par la suite Jobbik, le mouvement d’extrême-droite néo-fascisant s’est imposé à la tête de la mairie et a décidé de lancer son programme en transformant le ghetto – un parmi les 1 100 répertoriés en Hongrie – où habitent 450 Roms en laboratoire-test et en forçant les Roms aux travaux obligatoires*.
Les rues sont désertes, même chats et chiens semblent faire profil bas. Une voiture de police ralentit, il paraît que nous venons de croiser de peu Gábor Vona, le chef du parti Jobbik, présent 5 minutes plus tôt et qui a fait un passage-éclair – certainement pour apprécier l’avancée de son programme-pilote.
Le ghetto se situe en bas du village, il faut emprunter une pente raide et méchante de terre battue pour parvenir au milieu des quelques maisons délabrées. Ce sont 126 familles vivant sur trois générations qui se répartissent dans une vingtaine d’habitations. Les routes, de simples chemins de terre, sont à peine dessinées. Les maisons du ghetto se situent à proximité d’une rivière dont chaque crue fait des ravages. Des milices néo-fascistes défilent dans le village
Janush, nous attend. Dès notre arrivée, il surgit précipitamment de chez lui et nous montre la caméra de surveillance installée sur le poteau électrique, droit sous ses fenêtres. Les policiers tournent autour de notre voiture. Notre hôte nous happe littéralement à l’intérieur de la maison. Les deux uniformes s’éloignent un peu, hésitants sur la conduite à tenir, mais ne peuvent guère intervenir : nous sommes en visite privée chez un particulier.
Janush Farkas senior est vice-président du Mouvement national Rom des droits civils.
Comme il se plaît à le souligner, il est un paysan investi depuis 21 ans dans la vie politique pour sa communauté et personne ne pourra lui enlever cette expérience. Le « Martin Luther King » de Gyöngyöspata crie à la révolte depuis que les milices ont débarqué dans son village devenu le fief de l’extrême-droite.
La vie déjà si précaire des Roms ne ressemble dorénavant à plus rien – si on peut encore appeler cela une vie. La femme et les enfants de Janush, tout comme le reste du village restent traumatisés par le défilé de ce terrible mois d’avril, où une nuit, 7 500 hooligans hongrois supporters du Újpest [un club de football de Budapest] scandaient d’une voie sombre et caverneuse, à faire trembler les murs, « Ria- Ria-Hungaria ! » (« Aller, aller la Hongrie »), en tenant des torches et en marchant au pas militaire, le bras tendu à la façon des nazis. Ils venaient provoquer ce ghetto de pauvres et le commissaire affolé a du donner ordre aux Roms de tous rester cachés chez eux et surtout de ne pas sortir sous peine d’être battus, voire tués.
Janush montre son cœur qui, depuis cette nuit, va mal, s’emballe pour un rien. Sa femme Clara doit prendre des anti-dépresseurs. Des dizaines d’autres familles se sont enfuies pour le Canada.
Mais lui, Janush ne partira jamais :
la Hongrie, c’est mon pays, je suis Hongrois, cela fait 600 ans que nous sommes là. Ni les crues de la rivière, premier fléau, ni Jobbik, le second, ne nous feront quitter ce pays et ce village. Malgré la terreur physique, psychique, spirituelle, nous ne renoncerons pas à la Hongrie.
Ils utilisent une méthode de harcèlement constant auprès des Roms du ghetto. Quatre policiers sont engagés à plein temps pour nous contrôler et nous amender de façon arbitraire. Par exemple, une femme pousse la poussette de son enfant au bord de la route parce que les trottoirs sont quasi inexistants ou troués de nids-de poule et inaccessibles pour un véhicule à roulettes. Les policiers lui infligent une amende pour n’avoir pas utilisé le trottoir. Un enfant de 5 ans fait pipi au bord du chemin de terre, et encore une autre amende. Elles pleuvent comme la septième plaie d’Égypte. On nous reprend d’un côté, ce que l’on vous donne de l’autre : des amendes de 10 000 (environ 33 euros), 35 000 forint Hongrois à donner, alors qu’on n’a même plus de quoi manger.
Tout est bon pour dénigrer et marginaliser les Roms, eplique Janush :
Concernant les enfants, on nous envoie des psychologues qui, après des test,s concluent qu’ils sont sont arriérés mentaux et qu’ils doivent aller dans les classes spéciales, tout ceci parce que dans les classes hongroises normales, ils ne veulent pas de nos enfants. D’autres psychologues de Budapest, totalement neutres, viennent et disent tout le contraire, que nos enfants sont vifs et intelligents.
Il y a un racisme, une ségrégation insidieuse qui empoisonne la vie des gens. Et ce sont toujours, quoiqu’il arrive, les Roms qui ont tort, il n’y a pas de justice. Depuis la chute du régime communiste, nous sommes plus seuls que jamais, discriminés et abandonnés à notre sort. Au moins avant nous pouvions tous travailler, emprunter de l’argent à la banque, nous avions des petits salaires, mais des emplois fixes, c’était un vrai système plus démocratique que celui actuellement mis en place.
Janush poursuit la liste des humiliations et des accusations dont sa communauté est victime :
Après les dernières crues, trois familles ont du être relogées. La Croix-Rouge avait réuni de l’argent pour la construction de maisons dans un autre quartier, avec des Hongrois. Ceux-ci se sont farouchement opposés à leur arrivée. Et la campagne de haine de racisme via la chaîne TV Barikad (Barricade) n’a rien arrangé. Les partisans de Jobbik ont profité de la mort de Josef Toth, un vieux retraité du village, qu’on a retrouvé pendu chez lui, pour nous faire porter le chapeau. Mais Josef, s’entendait bien avec nous, il nous rendait même des services en nous véhiculant sur ses machines agricoles contre quelques pièces, et n’a jamais eu le moindre problème. Jobbik a déclaré qu’il s’est pendu parce qu’on l’avait torturé. Heureusement, l’enquête de police a conclu aux vraie raisons de son suicide : en réalité, Josef était malade d’un cancer déjà très avancé qu’il supportait plus. Et c’est ainsi que nous tous, à notre étonnement, avons appris qu’il était très malade, qui l’aurait soupçonné, cet homme, cet ami qui n’a pas pu partir avec son secret ?
Nous quittons Janush pour nous rendre auprès des travailleurs Roms recrutés pour le nouveau programme de travaux forcés. Débrousailler à la main
A grandes enjambées, on parcourt les 5 kilomètres qui nous mènent au sommet de la colline, là ou travaillent une quarantaine des Roms. Cette colline si riante aux dégradés chauds et chatoyants d’un automne encore joyeux, si généreux en lumière et en éclat doré. Le carillon léger des cloches de l’église du petit village fend l’air et parvient jusqu’à nous comme un triste glas. Lugubre tocsin annonciateur des libertés bientôt enterrées.
On arrive essoufflé, les travailleurs prennent leur pause, ils sont assis entrain de discuter et de fumer. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils en pensent de ce travail forcé, les Roms haussent les épaules. De toutes les façons, ils n’ont pas le choix.
Pour 8-10 heures par jour, ils gagnent environ 150 euros par mois, loin du salaire minimum hongrois établi à environ 350 euros. Ils sont répartis en deux groupes, un premier qui défriche le chemin de terre avec de vieux outils et avec les mains. Des rumeurs circulent : des milices installeraint au sommet de la colline une base militaire pour surveiller le ghetto confiné. Ces travailleurs roms ont aussi travaillé à débroussailler les chemins pour le compte de propriétaires privés.
Un second groupe est chargé de participer à la rénovation du poste de police de Gyöngyöspata.
« Creuser sa propre tombe »
Une dame âgée de 57 ans est assise et discute de ses conditions de travail. grand-mère de six petits-enfants qu’il faut bien nourrir, elle n’a guère le choix. Mais, elle espère vraiment tenir et continuer à travailler dans ces conditions difficiles jusqu’à la retraite.
Un peu plus tôt, une Hongroise du village nous faisait remarquer que ce programme établit par le Jobbik n’a aucun sens. « On occupe bêtement les Roms avec l’argent du contribuable pour leur faire faire des travaux dont on verra les résultats que dans dix ans [il est aussi prévu de leur faire planter des arbres] », explique-t-elle en substance.
« Alors que Jobbik prétend trouver des solutions, et bien qu’il relance un vrai programme économique comme rouvrir les usines de la région, la raffinerie de sucre et de proposer du travail á tout le monde, pas seulement aux Roms mais aussi aux Hongrois. Aujourd’hui, nous avons tous besoin de travailler, au lieu de cela, avec leur idée bête, ils arrivent encore á jeter l’argent de nos taxes par la fenêtre ». Elle soupire un peu lasse : « Ce travail qu’on leur fait faire est un non-sens ».
Un Rom de Budapest est encore plus critique envers ce programme de travail forcé qui concerne officielement tous les allocataires de minimas sociaux mais touche, de fait, les Roms. « C’est comme obliger un condamné à creuser sa propre tombe pour ensuite le flinguer et le pousser dans la fosse ». Rien qu’un morceau de pain
Il est l’heure de repartir, nous redescendons quasiment en courant parmi les hautes herbes pour nous diriger droit sur le ghetto. Un fait troublant me dérange, sans que j’arrive à mettre le doigt dessus. Je tâtonne, repasse tout en revue ; l’horloge, les photos de mariage, le vieux frigo qui hoquette à force d’être vide, le formica grenat de la table, les peintures jaunes du mur, la lampe suspendue, les expressions sur les visages tantôt souriants tantôt tristes. De mémoire je revois tous les détails, les après les autres.
Et ça y est, enfin, ça remonte à la surface ! Lorsque Janush, lui aussi grand-père, est allé chercher ses petits-enfants à la sortie de l’école et qu’il les a ramenés à la cuisine, il n’y a rien qui cuisait, ni réchauffait, ni grillait, ni mijotait, ni bouillait sur le gaz. Ces enfants de retour de l’école allaient juste devoir se contenter d’un morceau de pain. Il faut bien se serrer encore davantage la ceinture pour payer les amendes arbitraires.
*Ce programme a en fait été décidé par le gouvernement nationaliste de Viktor Orbán, mais Gyöngyöspata a été l’une des toutes premières villes à le mettre en oeuvre, à partir du 1er septembre 2011.
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Tous crédits photos : Djemâa Chraïti.
Une première version de ce reportage a été publié sous le titre « Les larmes du ghetto de Gyöngyöspata » sur le blog BIENVENUE CHEZ LES ROMS, hébergé par la Tribune de Genève.
http://fr.myeurop.info/2011/11/04/l…