Bien intéressant, tout ça…
Un peu « raide à lire » mais bien vu.
FDF
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L’humanitariste avec une guillotine
Chapitre XX de « The God of the Machine » (1943)

par Isabel Paterson
traduit par Hervé de Quengo
Isabel Paterson était une romancière et, de 1924 à 1949, une célèbre chroniqueuse littéraire au Herald Tribune. Au cours du temps sa chronique ne resta pas confinée à la littérature, mais finit par embrasser l’économie, la politique, l’histoire, etc., les livres étant un prétexte à sa chronique, signée I.M.P. (Isabel Mary Paterson). Elle fut virée du journal en 1949 pour des raisons politiques, le centralisme socialiste qui s’installait aux États-Unis avec Roosevelt n’étant pas sa tasse de thé (notons que, contrairement à son amie Rose Wilder Lane, elle n’appréciait pas non plus Herbert Hoover, bien que Républicaine).
Au Herald Tribune, elle eut comme collaboratrice et protégée une jeune immigrée russe qu’elle influença par sa vaste culture dans beaucoup de domaines : Ayn Rand. The Fountainhead (La Source vive) de cette dernière parut en même temps que The God in the Machine de Paterson. L’athéisme militant de Rand n’était cependant pas du tout partagé par Isabel Paterson, ce qui fut une des raisons qui conduisit à leur rupture. Plus tard, bien qu’ayant rompu avec Rand, Isabel Paterson défendit Atlas Shrugged contre une mauvaise critique de la National Review de William Buckley, journal (conservateur) auquel elle collaborait à l’occasion.
Le livre The God in the Machine fut salué par Albert Jay Nock, qui considérait qu’avec The Discovery of Freedom de Rose Wilder Lane il s’agissait des « seuls livres intelligibles sur la philosophie de l’individualisme qui aient été écrits en Amérique au cours de ce siècle ». Malgré les désaccords et la rupture (et surtout le titre du livre), Ayn Rand cita l’ouvrage à plusieurs reprises dans les articles de son recueil Capitalism, The Unknown Ideal (1967) et le recommanda dans la bibliographie. Quant à Murray Rothbard, il le cite dans Man, Economy, and state ainsi que dans Power and Market.
Les informations ci-dessus ont pour une grande part été tirées de la longue introduction de Stephen Cox pour l’édition de Transaction Publishers (1999).
L’humanitariste avec une guillotine
Dans le monde, la plupart du mal est faite par des braves gens, non par accident, faute ou omission. C’est au contraire le résultat de leurs actions délibérées, longuement continuées, qu’ils pensent être motivées par de grands idéaux et pour des motifs vertueux. On peut le démontrer et il ne pourrait en être autrement. Le pourcentage des personnes sincèrement malfaisantes, vicieuses ou dépravées est nécessairement faible, car aucune espèce ne pourrait survivre si ses membres étaient naturellement et consciemment enclins à se faire du mal les uns aux autres. La destruction est si facile que même une minorité ayant une mauvaise intention persistante pourrait rapidement exterminer la majorité des personnes bien disposées qui ne se méfient pas. Tout individu à toute époque a facilement en son pouvoir la possibilité de perpétrer le meurtre, le vol, la rapine et la destruction. Si on suppose qu’il est uniquement restreint par la peur ou la force, alors la peur de quoi, et qui pourrait utiliser la force contre eux si tous les hommes avaient ce même état d’esprit ? Sans aucun doute, si le mal fait délibérément par des criminels devait être calculé, on trouverait que le nombre des meurtres, l’étendue des dommages et des pertes sont négligeables en comparaison de la somme totale de morts et de dévastations infligées aux êtres humains par leurs semblables. Il est donc évident que lors des périodes pendant lesquelles des millions de gens sont abattus, durant lesquelles la torture est pratiquée, la famine forcée et l’oppression une politique, ce qui est le cas actuellement dans une grande partie du monde et fut souvent le cas dans le passé, ce doit être le résultat des ordres donnés par de nombreuses braves personnes, et même le résultat des actions directes menées pour ce qu’elles estiment un but noble. Si elles ne sont pas les exécutants immédiats, elles donnent leur accord, élaborent des justifications ou gardent le silence sur les faits, et évitent toute discussion.
A l’évidence, ceci ne pourrait pas se passer sans raison, sans cause. Et il faut comprendre que, dans le passage précédent, lorsque nous disons des braves gens, nous voulons vraiment parler de gens biens, de personnes qui ne voudraient ni effectuer ni envisager intentionnellement des actes qui puissent faire du mal à leurs semblables, que ce soit par perversion ou pour en tirer un bénéfice personnel. Les braves gens veulent le bien d’autrui et espèrent mettre leurs actions en accord avec ce choix. De plus, nous ne voulons pas dire ici qu’il y ait un quelconque « transfert de valeurs », confondant le bien et le mal, ou suggérant que le bien engendre le mal, ou disant qu’il n’y a pas de différence entre le bien et le mal ou entre les braves gens et les personnes mal disposées. Nous n’insinuons pas non plus que les vertus des braves gens ne sont pas de véritables vertus.
C’est donc qu’il doit y avoir une très grosse méprise sur les moyens par lesquels ils cherchent à atteindre leurs fins. Il doit même y avoir une erreur dans leurs axiomes premiers, pour leur permettre de continuer à utiliser de tels moyens. Quelque chose de terriblement faux, quelque part. De quoi s’agit-il donc ?
A coup sûr, les massacres commis de temps en temps par des barbares envahissant des régions habitées, ou les cruautés capricieuses de tyrans avoués, ne se montent pas à un centième des horreurs perpétrées par des gouvernants armés de bonnes intentions.
Comme le raconte l’Histoire qui nous est parvenue, les anciens Égyptiens furent mis en esclavage par les Pharaons pour un plan charitable de « greniers toujours approvisonnés ». Des réserves étaient faites contre la famine. Et, alors, les gens furent forcés d’échanger propriété et liberté contre ces réserves, qui étaient préalablement soustraites à leur propre production. La rudesse inhumaine des anciens Spartiates était également pratiquée pour un idéal civique de vertu.
Les premiers Chrétiens furent persécutés pour des raisons d’État, de bien-être collectif. Et ils luttèrent pour le droit de la personne, chacun parce qu’il avait une âme personnelle. Ceux qui furent tués par Néron pour le sport étaient peu nombreux comparés à ceux qui furent condamnés à mort pour des raisons strictement « morales, » par des empereurs ultérieurs. Gilles de Retz, qui assassina des enfants pour satisfaire une perversion bestiale, n’en tua au total pas plus de cinquante ou soixante. Cromwell ordonna le massacre de trente mille personnes d’un coup, y compris des enfants, au nom de la vertu. Même les brutalités de Pierre le Grand avaient comme prétexte le but de bénéficier à ses sujets.
La guerre actuelle [la Deuxième Guerre Mondiale], qui a commencé avec un traité entre deux puissantes nations (la Russie et l’Allemagne), selon lequel elles pouvaient écraser leurs plus petits voisins avec impunité, ce traité ayant été rompu par une attaque surprise d’un des deux conspirateurs, aurait été impossible sans la puissance politique intérieure dont on s’était emparé, dans les deux cas, avec l’excuse de faire du bien à la nation. Les mensonges, la violence, les meurtres de masse furent pratiqués en premier lieu sur les peuples de ces deux nations par leur gouvernement respectif. On pourrait dire, et il se pourrait bien que ce soit vrai, que les détenteurs du pouvoir étaient dans les deux cas de vicieux hypocrites, que leur objectif conscient était le mal dès l’origine. Cependant, ils n’auraient pas pu arriver au pouvoir sans le consentement et l’assistance de braves gens. En Russie, le régime communiste a pris le pouvoir en promettant la terre aux paysans, dans des termes que ceux qui faisaient les promesses savaient être un mensonge. Une fois à la tête du pays; les communistes confisquèrent aux paysans la terre qu’il possédaient déjà et exterminèrent ceux qui voulurent résister. Ceci fut fait avec un plan et intentionnellement. Le mensonge fut salué comme de « l’ingénierie sociale » par leurs admirateurs socialistes d’Amérique. Si c’est de l’ingénierie, alors la vente d’une mine fantôme en est aussi. Toute la population de Russie fut soumise à la contrainte et à la terreur. Des milliers furent tués sans jugement. Des millions travaillèrent jusqu’à en mourir et moururent de faim en captivité. De même toute la population d’Allemagne fut soumise à la contrainte et à la terreur, avec des moyens identiques. Avec la guerre, les Russes dans les prisons allemandes et les Allemands dans les prisons russes n’endurent pas de destin pire ou différent de celui qu’un aussi grand nombre de leurs compatriotes ont connu chez eux du fait de leur gouvernement. S’il y avait une quelconque petite différence, ils souffrent plutôt moins de la vengeance d’ennemis déclarés que de la prétendue générosité de leurs compatriotes. Les nations vaincues de l’Europe, sous la botte russe ou allemande, font simplement l’expérience de ce qu’ont enduré les Russes et les Allemands pendant des années, sous leur propre régime national.
De plus, les principaux acteurs politiques au pouvoir en Europe, y compris ceux qui ont vendu leur pays à l’envahisseur, sont des socialistes, des ex-socialistes ou des communistes : des hommes dont le credo fut le bien collectif.
Avec ces faits pleinement démontrés, nous avons devant nous l’étrange spectacle d’un homme qui a condamné des millions de ses compatriotes à la famine et qui est admiré par des philanthropes dont le but déclaré est de voir chacun, dans le monde entier, recevoir son litre de lait. Un professionnel diplômé de la charité a parcouru la moitié du monde pour obtenir l’interview de ce maître du commerce et pour produire des écrits enthousiastes sur le fait d’avoir obtenu ce privilège. Pour garder leur emploi, dans le but avoué de faire le bien, des idéalistes similaires acceptent volontiers le soutien politique d’escrocs, de souteneurs avérés et de casseurs professionnels. Cette affinité de types se produit invariablement quand survient l’occasion. Mais quelle est cette occasion ?
Pourquoi la philosophie humanitaire de l’Europe du dix-huitième siècle a-t-elle inauguré le règne de la Terreur ? Ce n’est pas arrivé par hasard. Ce fut la conséquence de la prémisse originelle, de l’objectif et du moyen proposés. L’objectif est de faire le bonheur des autres en tant que justification première de l’existence. Le moyen est le pouvoir collectif. Et la prémisse est que le « bien » est collectif…
Suite et source: http://tinyurl.com/6uuq64m