Logement des demandeurs d’asile : la question devient politique…
Certains occupaient les parkings souterrains de la ville jusqu’à ce que la mairie les ferme la nuit, d’autres logent aujourd’hui dans des bâtiments industriels désaffectés (Lire ici notre article sur le sujet) : la situation des 600 demandeurs d’asile pour qui aucune solution d’hébergement d’urgence n’est encore trouvée à l’approche de l’hiver devient très préoccupante à Dijon. Et politique. Lundi 14 novembre 2011, François Rebsamen, sénateur-maire socialiste de Dijon, s’est refusé à dire que des solutions seraient trouvées par la collectivité avant que l’Etat ait reconnu sa responsabilité dans la situation actuelle ; et commence à agir.
Alors que le nombre de demandes d’asile a doublé entre 2010 et 2011 à Dijon (Lire ici notre article sur le sujet), en raison des nombreux conflits internationaux mettant en danger la vie de citoyens dans leur pays d’origine, François Rebsamen voit surtout une origine politique à l’engorgement de dossiers et aux difficultés de logement des demandeurs d’asile. « Nous sommes dans le contexte d’une Révision générale des politiques publiques (RGPP) et il y a de moins en moins de fonctionnaires dans les préfectures et dans les ministères. Certains s’en félicitent mais du coup, on a du mal à tenir deux objectifs : le premier est de fournir à chaque demandeur d’asile une réponse sur son dossier dans un intervalle de six mois – aujourd’hui des dossiers de 2010 n’ont pas encore été traités ; et deuxièmement l’Etat en est à un tel point qu’il n’est pas capable de fournir un système de prise des empreintes biométriques à la préfecture de Saône-et-Loire ! D’ailleurs il n’y a pas de fonctionnaires pour le faire. Donc toutes les démarches concernant l’asile se font à Dijon. Ce qui conduit à une augmentation de 100% des demandeurs d’asile sur la seule Côte-d’Or, de 570 en 2010 à 1.126 en 2011″, note-t-il.
Pas question donc, pour le moment, d’affirmer que des solutions seront trouvées par la ville de Dijon pour l’hiver. « Si je dis que je ferai quelque chose, l’Etat va les laisser dans la rue », commente François Rebsamen. Et d’ajouter : « Ce ne sont pas les collectivités locales qui sont en cause. Il faut donc interpeller la préfète, le ministère de l’Intérieur et le gouvernement pour que tout le monde soit traité dignement et logé. J’ai interpellé la préfète sur le sujet et elle est bien consciente que l’engorgement sur Dijon est dû au fait que l’enregistrement des demandes d’asile ne se fait plus dans les préfectures de département pour des raisons d’économies budgétaires. La préfète a demandé à ce qu’il y ait un Système d’enregistrement des empreintes biométriques (Seeb) à Mâcon, en Saône-et-Loire, et cela lui a été refusé par le ministère. Mais il y a aujourd’hui une pression terrible sur les fonctionnaires de la préfecture car les conditions d’enregistrement des demandes sont difficiles. Ce n’est pas la préfète elle-même qu’on interpelle : c’est l’Etat. Qui doit faire face à la situation et assumer la loi, qui impose d’offrir le droit d’asile. Tant qu’il y a le droit d’asile, on accueille les être humains comme des êtres humains. On ne les laisse pas à la rue, on construit, on fait des efforts financiers. L’effort est insignifiant, d’ailleurs, par rapport aux cadeaux fiscaux. Alors comportons-nous dignement ».
Et face à ce manque de fonctionnaires, pourquoi ne pas interpeller directement le ministre de la Fonction publique, François Sauvadet (Nouveau centre), président du conseil général de Côte-d’Or ? « Pas bête », répondra François Rebsamen. Avant d’ajouter : « J’aurai pu le faire. Mais je ne suis pas sûr que Sauvadet ait vraiment de poids dans cette affaire ». Ou quand la politique reprend le dessus sur l’impératif d’humanité…
La préfecture « ne commentera pas les propos de François Rebsamen »
« Nous ne réagirons pas aux propos de Monsieur Rebsamen, dont nous ne connaissons pas la teneur », répond la préfecture de Bourgogne. Toutefois, dans la soirée du lundi 14 novembre, l’institution apportera aux journalistes des documents précisant son action dans le domaine de l’accueil et du logement des demandeurs d’asile. « Le regroupement du traitement des demandes au chef-lieu de région vise à garantir une meilleure qualité de l’accueil et de l’accompagnement des demandeurs d’asile. Ce processus, piloté par la préfète, est connu sous le nom de « régionalisation du premier accueil ». Depuis sa généralisation en 2010, une concentration des demandes a été observée en Côte-d’Or, où l’augmentation a été de 165% entre 2009 et 2011 – 100% pour la seule année 2011″.
Une situation que le monde associatif trouvait plus alarmante qu’efficace, dans notre article publié jeudi 03 novembre 2011 (Lire ici) : « Charger une ville comme Dijon de toute la demande d’asile de la région, c’est trop. La Nièvre et l’Yonne, aujourd’hui, sont très peu concernées par la demande d’asile. L’idéal serait de partager l’hébergement d’urgence avec d’autres départements. Un travail de la préfecture est fait dans ce sens-là et on devrait récupérer 60 places dans les autres départements… mais ce ne sera que 60 ! », expliquait alors Claire Ayral, chef des services de mise à l’abri (Mada), des centres d’accueil (Cada) et des plateformes d’accueil des demandeurs d’asile (Pada) à Dijon. Et de préciser : « Dijon a toujours été un flux important mais il y a quelques années, nous avions aussi des demandeurs d’asile en Saône-et-Loire, dans la Nièvre et un petit peu dans l’Yonne. Or, il y a peu, on a régionalisé le premier accueil, c’est-à-dire le Pada, dans les préfectures de région. Car c’est la préfecture de région qui va reconnaître le statut de demandeur d’asile. Du coup, plutôt que les personnes arrivent dans l’Yonne et soient obligées d’aller à la préfecture de Dijon, elles viennent aujourd’hui directement à Dijon. Au final, le nombre d’arrivées a doublé par rapport à 2010 et le nombre de nuitées consommées a triplé ». La situation a vite mené à une saturation des dispositifs de logement à Dijon, qui compte 485 places en hébergement d’urgence, 150 places en pré-Cada et 357 places en Cada.
A la préfecture de Bourgogne, l’heure est à la recherche de solutions d’urgence. « Du fait de l’augmentation importante et récente du nombre de demandeurs d’asile, les capacités d’hébergement se retrouvent de nouveau en tension. La préfète a donc souhaité anticiper le dispositif régional de pilotage de l’hébergement d’urgence des primo-demandeurs, qui permet la mutualisation des places disponibles dans l’ensemble de la région. A la régionalisation de l’accueil correspondra donc la régionalisation de l’hébergement. Ainsi, à la suite d’une décision du Comité de l’administration régionale, qui réunit les quatre préfets, 70 nouvelles places ont été identifiées en un mois », note la préfecture. Et de préciser : « Ce dispositif bénéficiera prioritairement aux profils familiaux prioritaires que sont les couples avec enfant(s), les femmes isolées avec enfant(s), les femmes seules et les couples sans enfant et dont la femme est enceinte de plus de six mois. Le pilotage régional ne peut pas en revanche, dans l’immédiat, bénéficier à l’ensemble des hommes demandeurs d’asile sans enfant, par manque de lieux d’hébergement disponibles. Le nouveau dispositif en serait immédiatement saturé, au détriment des personnes prioritaires ». Les 550 personnes isolées ou en couple, qui ne sont pas considérées comme prioritaires, sont donc toujours à la rue et devront probablement attendre l’activation d’un Plan grand froid pour dormir au chaud cet hiver.
Problème de santé… et de dignité
La situation n’est pas sans poser d’autres problèmes, à commencer par la santé des demandeurs d’asile (Lire ici). « Il y a une dégradation nette de l’état physique des personnes qui dorment dans la rue. Les demandeurs d’asile se présentent souvent à la Permanence d’accès aux soins de l’hôpital (PAS), qui fait état de sa difficulté à soigner les gens puisque donner un médicament à des personnes qui sont dehors, cela ne présume pas de l’efficacité du traitement. Nous avons eu une réunion de coordination la semaine dernière et les personnels de la PAS faisaient état de leur sentiment d’inutilité, puisqu’ils ne peuvent pas soigner correctement. C’est également très difficile, pour les personnels hospitaliers, de laisser sortir les gens pour aller vers la rue. Quand les personnes sont vraiment dans un état grave, les médecins prononcent l’hospitalisation et s’il y a besoin d’une prise en charge particulière, il existe dix lits appelés « halte soins santé », pour un délai de deux ou trois mois », explique Claire Ayral. Le Pada distribue également des chèques-services pour les repas – 46 euros par semaine pour une personne seule, 75 euros pour un couple – et d’autres associations, comme le Comité inter-mouvements auprès des évacués (Cimade), disposent par exemple d’un vestiaire pour fournir des vêtements à ceux qui en ont besoin, au-delà de leurs actions en terme de démarches administratives et d’apprentissage de la langue française. »
« La France a signé la Convention de Genève en 1951, dans laquelle il est bien spécifié que nous devons donner asile et protection à toute personne qui craint pour sa sécurité, qui a subi des sévices dans son pays. Nous constatons aujourd’hui que l’Etat français faillit à sa mission, que l’hiver arrive et que ces gens vont être à la rue. Nous allons donc mobiliser davantage et alerter la société civile sur la situation de ces demandeurs d’asile », annonçait Françoise Duguet, présidente de la Cimade en Bourgogne et Franche-Comté, jeudi 03 novembre. Mardi 08 novembre, un cercle de silence en signe de soutien aux 600 demandeurs d’asile sans-abri réunissait deux cents personnes, place François Rude à Dijon (Voir ici notre diaporama). Dimanche 13 novembre, les mêmes associations occupaient les locaux de l’ancienne boucherie de la rue Bertillon, où vivent aujourd’hui 43 réfugiés, pour « ne pas que les forces de l’ordre viennent expulser les réfugiés manu militari » (Lire ici notre article sur le sujet). A l’ombre des querelles politiques, l’hiver risque d’être rude pour les demandeurs d’asile… »
Source: http://www.dijonscope.com/