ORAN, UNE CITE INFRÉQUENTABLE
Les souvenirs m’assaillent en lisant, dans El Watan du 29 mai 2011, l’article de Mahroug Houari, décrivant, dans une longue succession de détails sordides et repoussants, la ville où je suis née et dont le nom persiste doux à mon oreille.
Cet Oran où, malgré une guerre sans nom, il faisait, encore, bon vivre… dans notre souvenir.
Dans notre souvenir, seulement. Celui que nous imposons à notre mémoire devenue sélective. Parce que, en lisant sa condamnation sans appel d’Oran et des oranais d’aujourd’hui, ce journaliste exilé depuis l’âge de 18 ans, me renvoie à Oran de ma jeunesse d’où je suis partie, au même âge.
Cette ville où, le moindre coin sombre approché, prenait l’aspect d’un coupe-gorge dans la peur de voir surgir un arabe embusqué.
Celle où, dans le pâté de maisons devenu notre univers, nous étions consignés par crainte de rencontrer, une rue plus loin, l’arabe qui nous enlèverait, nous agresserait ou nous tuerait.
Celle, encore, où, dans le simple « trajet-travail », on affrontait un danger de mort permanent, selon qu’on devait approcher de M’dina Jdida ou des quartiers périphériques.
Ces craintes, ces angoisses des oranais d’aujourd’hui, soyons honnêtes, nous les avons vécues pendant des années. Seule, l’inconscience de notre jeune âge nous autorisait à rejeter obstinément la crainte de nous voir agressés ou même tués, non pas pour un portable mais parce que nous étions « blancs, français, roumis ».
Combien d’entre nous ont laissé leur vie en allant à l’école, au travail ou au marché ? Ils sont des milliers. Des milliers d’honnêtes gens innocents qui se sont, un jour, trouvé sur la route de ces assassins.
Dans ce sens, Oran comme les autres villes d’Algérie de l’époque française, nous les avons connues, pareillement, infréquentables.
Et Oran, particulièrement. Oran dont les rues garderont, à jamais, l’empreinte du sang des milliers de victimes européennes assassinées par les mêmes qui, aujourd’hui, terrorisent sa population.
Contrairement à ce journaliste oranais, d’origine algérienne, né avec l’indépendance, cela fait cinquante ans que nous gardons, au fond de notre mémoire, la violence qui habitait ces oranais algériens. Et cela fait 50 ans que nous voyons (en photo) le pays tout entier se délabrer et les algériens s’entretuer.
La seule différence est que les bandes de délinquants ont remplacé les groupes d’activistes indépendantistes et que toute la ville a été envahie par la crasse et la vermine alors que, seuls les quartiers essentiellement arabes, l’étaient, à notre époque. Mais les us et coutumes des arabes oranais n’ont pas changé, eux. A quelques exceptions près, il faut le dire.
Comme tout exilé, comme nous aussi, il a dû entretenir dans son souvenir, les années qui virent son départ d’Oran, quand, encore, la saleté de ses rues n’avait pas atteint son paroxysme. Quand, encore jeune, il pouvait affronter les « loubards » de sa génération qui auraient menacé sa vie. Trente cinq ans plus tard, revenant sur les pas de son enfance, il est surpris de voir que ses congénères n’ont aucunement changé, sans éducation, sans aucuns scrupules à voler ou à tuer pour un maigre butin.
Ne sait-il pas que, chez nous, en France, transportés par la grâce des regroupements, ils tuent pour un regard mal interprété, pour une cigarette refusée ?
Il n’y a rien de nouveau, pour nous, dans le regard qu’il porte à sa ville et ses habitants.
Mais cela ne nous empêche pas – et à lui et à nous – de regretter la splendeur passée de la ville d’Oran lorsqu’elle était, encore, en Algérie française.