L’indignation qu’a provoqué l’attentat de Charlie Hebdo ayant été canalisée avec succès pour se métamorphoser en absolution de l’idéologie dont l’application a fait ainsi cinq morts, transformant ce qui aurait dû être un « voilà ce qu’est l’islam » en un « ce n’est pas ça l’islam », il est bon d’examiner sur pièces ce qu’il en est réellement, plutôt que de lancer des slogans vides.
« Vous avez dans le Messager d’Allah un excellent modèle [à suivre], pour quiconque espère en Allah et au Jour dernier et invoque Allah fréquemment.» (Coran, 33:21).
C’est cette exhortation coranique à imiter Mahomet (désigné pour cette raison couramment comme « le beau modèle »), qui est à l’origine de l’importance de la sunna, laquelle, rapportant les actes et paroles du prophète de l’islam sous forme des hadiths et des siras, constitue donc la deuxième référence de la foi et du droit musulmans, à côté du Coran.
La sunna rapporte quatre cas de poètes et poétesses qui ont raillé Mahomet dans leurs vers. Dans la société de culture orale qu’était le Hejaz du VIIème siècle, les poètes jouaient, entre autres, un rôle analogue à celui des journaux satiriques aujourd’hui. Ces quatre poètes sont Abu Afak, Ka’b ibn al-Achraf, Asmâ bint Marwan et Oum Kerfa. La réaction de Mahomet à ces moqueries a été semblable dans ces quatre cas. Prenons par exemple celui de Ka’b ibn al-Achraf, tel que rapporté dans la sira d’Ibn Hicham. L’extrait suivant commence par un dialogue, lors d’une réunion de Mahomet et de ses hommes :
– Qui me débarassera d’ Ibn al-Achraf ? [demande Mahomet].
– Je m’en charge pour toi, Envoyé de Dieu, je le tuerai, lui répondit Muhammad ibn Maslama.
– Fais-le, si tu peux.
[Ibn Maslama s’assure alors l’aide de Silkân ibn Salâma, frère de lait d’Ibn al-Achraf]
Les hommes d’Ibn Maslama se réunirent d’abord chez le Prophète, qui les accompagna un bout de chemin et leur indiqua la direction de la maison de Ka’b : « Partez, leur dit-il, au nom de Dieu. Que Dieu vous aide. » Puis il revint chez lui. C’était une nuit de pleine lune. Les hommes partirent et, lorsqu’ils parvinrent à la maison fortifiée de Ka’b, Silkân l’appela à haute voix. Ka’b, récemment marié, était au lit avec sa femme. Il bondit du lit avec sa couverture.
[Silkân lui propose une promenade nocturne, ce que Ka’b accepte et ils marchent de concert]
Brusquement, Silkân saisit les mèches de Ka’b et dit à ses compagnons : « Frappez maintenant cet ennemi de Dieu. » Leurs sabres s’abattirent tous ensemble sur la tête de Ka’b, mais les sabres se heurtèrent sans atteindre leur but.
Ibn Maslama poursuivait : « Ka’b poussa des cris si forts que tous les fortins autour de nous s’éclairairent. Voyant que nos sabres ne servaient pas à grand-chose, je me souvins que j’avais à la taille un poignard effilé. Je le lui plongeai dans le ventre et l’y enfonçai de tout mon poids : le stylet ressortit de son bas-ventre et l’ennemi de Dieu s’écroula. »
(Ibn Hîcham – Sira – trad. Wahib Atallah – Fayard, p.229-232).
La réaction de Mahomet aux railleries d’Abu Afak, d’Asmâ bint Marwan et d’Oum Kerfa a suivi le même schéma (avec une exécution particulièrement cruelle dans le cas d’Oum Kerfa, qui a été écartelée) : quand on se moquait de lui, le messager d’Allah faisait assassiner l’auteur des moqueries. Quand un musulman soucieux de respecter les règles de sa religion, voyant qu’on se moque de son prophète, se demande, comme le Coran exhorte à le faire : « qu’aurait fait Mahomet à ma place, dans cette situation ? », et cherche la réponse dans la sunna, il trouve donc ceci : il faut tuer le coupable. Le Coran et la sunna ne sont pas les fondements particuliers de l’« islamisme ». Ils sont la base de l’islam.
Donc, bien entendu, « ce n’est pas ça l’islam » est complètement faux. Ce qu’ont fait les frères Kouachi est exactement appliquer l’islam, et défiler en arborant le slogan « je suis Charlie » alors qu’on est musulman (et donc soutient de facto le meurtre de quiconque raille Mahomet) est le comble de l’hypocrisie.