mardi 24 août 2010
Surprise surprise
A bord du Falcon 7X Dassault, le président s’installe dans le fauteuil du salon privé. Il est fatigué. Il se tourne vers son conseiller.
– Saint-Mars. Racontez-moi quelque chose. N’importe quoi. J’ai besoin de me changer les idées. Ne me parlez ni de l’opposition, ni des agences de notations.
– Mm… Il y a un fait divers dans l’actualité…
– Allez-y.
– Ça s’est passé l’autre jour, dans la région de Lille. Une mère a découvert la mort de son fils d’une manière pour le moins… Singulière. Se rendant dans un cimetière pour enterrer un membre de sa famille, elle a découvert, par le grand des hasards, la tombe de son fils. Il était mort depuis un mois. Personne n’avait été prévenu.
– Non ? Vous êtes sérieux ?
– Oui.
Le président plisse des yeux, se figure la scène. Il ne peut réprimer un rire nerveux, hoquetant.
– Ah !… Les pauvres gens. En même temps… Il y a un côté tragi-comique dans tout ça… Je ne devrais pas rire. On ne devrait pas rire de ça, hein ?
– Non Monsieur le Président. Mais il faut bien trouver un moyen de relâcher un peu la pression.
– … Imaginez-vous la scène. On marche dans un cimetière, et d’un seul coup, stupéfaction ! Incrédulité ! Là, à nos pieds, une tombe… Quelqu’un qu’on pensait en vie, pétant de santé… Ah, c’est vraiment affreux. On le verrait dans un film, on le croirait pas.
– En effet, nous ne le croirions pas.
Détendu par l’intermède, le président décide de consacrer l’heure de vol restante à faire une sieste.
Une heure plus tard, le Falcon atterrit dans une grande capitale européenne.
Hommages militaires, fanfares, poignées de main. Une voiture officielle conduit le président vers le lieu d’une cérémonie. A l’intérieur, il prend connaissance du bref discours qu’il prononcera.
La voiture arrive dans une immense place, surmontée de plusieurs groupes de statues. Les autres chefs d’Etats sont déjà arrivés, à l’agacement du président : « Retard ! J’ai l’air de quoi devant la presse internationale ? »
Il s’installe à sa place tandis que le Russe commence son discours sous une pluie fine. Le président n’y entend rien qu’un maelstrom grisâtre d’expressions qui l’indiffèrent : morts, sacrifices, avenir radieux. Inutile même de chercher à comprendre ; chacun de ses mots et gestes est préparé par une armée de conseillers. Il pourrait aussi bien être un robot. Il s’ennuie. Pour passer le temps, il détaille en pensées le corps de la femme qui se trouvait sans son lit la veille.
Enfin, le russe invite les chefs d’Etat à déposer les gerbes. Son tour venu, le président se lève, se recueille devant un groupe de statues représentant des combattants de la seconde guerre mondiale. Ensuite, il s’avance vers ce qu’il lui semble être un hommage aux victimes du communisme. Un troisième groupe de statues évoque les victimes des crises économiques.
Le président s’apprête à regagner son rang, lorsqu’il se produit quelque chose d’étrange. Avec des regards embarrassés, les hommes du service protocolaire lui indiquent un emplacement, au fond, à droite. Saint-Mars hoche la tête : oui, il y a un autre monument. Le président revient sur ses pas. Tous les regards sont rivés sur lui. Il s’approche, une gerbe à la main.
Devant ses yeux, s’élève une statue représentant une femme. Elle pourrait évoquer vaguement Jeanne d’Arc. Ou Marianne. Sur le socle, une phrase, gravée en plusieurs langues : « A notre France bien-aimée qui nous manquera tant. R.I.P. ».
Le président en reste coi. Ne sachant que faire, il se tourne vers son conseiller.
– Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
– Un monument funéraire à la France.
– Mais la France n’est pas morte.
Saint-Mars garde le silence.
– Elle n’est pas morte ! Qu’est-ce que c’est que cette mascarade ?
Les chefs d’Etats étrangers sortent de leurs rangs et s’approchent, la mine compassée.
– La France est en vie… Dites-leur ! Qu’est-ce qu’ils ont tous là, à me regarder ?
Le président américain lui pose la main sur l’épaule et glisse : « Il faut accepter la réalité telle qu’elle est ».
– La réalité ? Mais la France n’est pas morte. J’y étais il y a quelques heures. Saint-Mars, répondez-moi ! Si vous ne me répondez pas, vous êtes virés.
– Monsieur le Président, dit ce dernier, il faut accepter la réalité telle qu’elle est.
L’un des chefs d’Etat tend un grand livre de condoléances aux feuilles d’or. Le président est abasourdi. Il hurle.
Son hurlement déchire la nuit pluvieuse comme un voile, laissant transpercer une lumière artificielle et un ronronnement familier. Le Falcon. Nous sommes dans l’avion.
– Vous allez bien Monsieur le Président ?
– Ah, ce n’est rien… j’ai fait un rêve…
– Un rêve ?
– Rien de grave. Un truc idiot.
Le président se lève pour se dégourdir les jambes.
– Bon. Faites moi apporter un café, merci. Saint-Mars, qu’est-ce qui est prévu aujourd’hui ? Il faudrait que je prenne l’habitude de lire les discours avant.
– Nous rentrons à Paris pour l’inauguration d’une grande Mosquée.
– Ah. Encore une grande Mosquée. Fait chier. Et depuis quand les Présidents de la République inaugurent les mosquées, hein ?
– Depuis que le Premier Ministre a inauguré celle d’Argenteuil. Accessoirement, depuis que les renseignements généraux vous ont fourni leurs dernières projections démographiques.
– Oui bien sûr. Les électeurs. Le client a toujours raison… Je me demande quand même ce que nos aïeux auraient pensé de tout ça. Bah. Est-ce qu’on a le choix ?
Le café est servi. Au moment où le président dirige la tasse vers ses lèvres, il entend la voix de son conseiller répondre :
– Nous ne l’avons pas. Il faut bien accepter la réalité telle qu’elle est.
elle est bonne celle-ci.
C’est hélas la triste vérité….
Commentaire par henri — 24/08/2010 @ 16:57 |