12 septembre 2009
Quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, un ami libraire me confiait qu’il n’avait jamais autant vendu d’exemplaires du Coran. De nombreux jeunes musulmans, sans doute troublés par les événements, venaient chercher dans le texte de la Révélation des réponses qu’ils n’y ont sans doute pas trouvées, surtout ceux qui exigeaient une édition arabe et refusaient avec mépris les versions bilingues disponibles sur le marché. Leur volonté de se réapproprier leur culture doit être saluée, mais il faut également s’interroger sur ses conséquences.
Financés par de grands donateurs du Golfe, les ouvrages purement et simplement révisionnistes sur l’islam sont largement distribués dans certaines de nos banlieues, quand ils ne sont téléchargeables sur Internet. On y lit n’importe quoi, et on y découvre avec stupeur qu’y sont affirmées des vérités comparables aux idioties de sectes protestantes américaines. Pour ceux que cela amuse – même si ça n’est pas drôle : http://www.islam-guide.com/fr/ch1-1.htm.
Le fait est qu’il est devenu impossible de discuter de façon rigoureuse et apaisée de l’islam, comme ce fut le cas en Europe à propos du christianisme à la fin du Moyen-Age.
Dans un livre remarquable publié en 2008, Sylvain Gouguenheim, probablement en forçant le trait, a fait le point sur un certain nombre de thèmes traitant de l’épineuse question de la transmission du savoir grec à l’Europe chrétienne par l’intermédiaire de l’empire arabo-musulman.
Comme de juste, ce livre, d’une fascinante érudition, a provoqué une intense polémique dans laquelle les arguments les plus vils et les plus absurdes côtoient quelques – rares – remarques intelligentes. Accusé d’islamophobie, Sylvain Gouguenheim a fermement répondu dans le numéro n°378 du mensuel “Lire” : “[l’islamophobie] est un concept utilisé sans avoir été soumis à un examen critique. Au sens propre, il désigne la peur de l’islam, qu’il assimile à une phobie, donc à une réaction maladive, dépourvue de fondement rationnel : l’islamophobe est un déséquilibré. L’accusation discrédite d’emblée celui contre qui elle est lancée et permet de biaiser à l’avance ou d’esquiver le débat sur le contenu des thèses incriminées. Elle suggère également que les critiques sont le produit d’arrière-pensées racistes. L’islamophobe passe donc pour un malade mental et un individu infréquentable. A partir de là, plus aucune discussion n’est possible.”
Cette mise au point a été suscitée par la prochaine parution (le 23 septembre) de cette “réponse” au livre de Gouguenheim : “Les Grecs, les Arabes et nous”. Je ne l’ai évidemment pas lu, mais les critiques qui ont eu cette chance (!) s’accordent tous à la juger outrée, voire idiote. Taxer Fernand Braudel d’islamophobie relève, pour le coup, de la psychiatrie. D’ailleurs, le texte a été épluché par des avocats tant il flirtait parfois avec la simple insulte et l’antisémitisme si habituel dans ces polémiques.
Ces tensions et cette volonté de tuer le débat plutôt que de l’enrichir sont une drame pour nous qui tentons de voir clair dans cette crise profonde qui oppose nos mondes et qui cherchons à contruire des passerelles. Entre les délires de Bat Ye’Or et son Eurabia, pur délire raciste et paranoïaque :
et le soi-disant classique de Sigrid Hunke, “Le soleil d’Allah brille sur l’Occident” :
il reste peu d’espace aux hommes de bonne volonté…
Je rappelle en passant que Mme Hunke a été membre du parti nazi (NSDAP pour les initiés, cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Sigrid_Hunke) et qu’elle avait réussi à convaincre le général Gallois de la soutenir dans ses délires… Tous nos généraux ne sont pas des Lyautey.
Pourtant, des lettrés s’emploient à casser les mythes, comme Abdelwahab Meddeb (dont “Pari de civilisation” est sorti le 20 août dernier) ou Malek Chebel qui a osé, dans “L’esclavage en terre d’islam”, prendre la suite de la somme d’Olivier Pétré-Grenouilleau “Les traites négrières. Essai d’histoire globale.”