Carte blanche d’Alain Destexhe, sénateur, et Claude Demelenne, journaliste, dans « Le Soir » du lundi 6 juillet:
A priori, tout nous sépare. D’un côté, un parlementaire libéral. De l’autre, un journaliste de sensibilité socialiste. En pure logique manichéenne, jamais nous n’aurions dû cosigner cette carte blanche, puisque nous appartenons à des « camps » opposés. Tout nous sépare-t-il, vraiment ? Certainement pas l’engagement, qui devrait être commun à tous les démocrates, en faveur de l’émancipation des citoyens, de l’égalité hommes-femmes et de la neutralité de l’État. Nous partageons la même inquiétude parce que cet engagement subit des ratés de plus en plus fréquents. Une partie des démocrates le placent entre parenthèses. Sur la question du voile islamique et, plus largement, de l’immixtion croissante de cléricaux rétrogrades dans la sphère publique, leur position est ambiguë. Par naïveté, aveuglement ou électoralisme, certains progressistes autoproclamés – certaines « féministes » aussi – relaient les thèses des musulmans rigoristes cherchant à autoriser presque partout le port du voile islamique : à l’école, dans les entreprises, dans les administrations, au parlement.
Le cas de Mahinur Özdemir (CDH), première parlementaire en Europe à siéger voilée, est révélateur de la dérive de certains « progressistes ». Cette élue voilée « peut être un modèle pour l’émancipation des femmes », a déclaré sans rire la députée écologiste, étiquetée très à gauche, Zoé Genot. Quel contresens ! Au-delà de cette déclaration abracadabrantesque, le moins que l’on puisse écrire est que la gauche et le centre gauche ne sont pas en première ligne pour défendre les conquêtes laïques et les droits des femmes, contestés par les partisans d’un islam rétrograde. Sur la scène politique, seuls quelques élus réformateurs défendent publiquement une position progressiste et appellent un chat un chat : l’apparition du voile dans une assemblée parlementaire constitue en soi une régression démocratique et un message désastreux envoyé aux femmes qui n’ont d’autre choix que de le porter. La Belgique apparaît aujourd’hui comme un laboratoire pour les militants islamistes. À l’aide de leurs compagnons de route, vrais ou faux naïfs « de gauche », ils pourront mettre un peu plus encore la pression sur les femmes musulmanes, sommées de donner des gages de « respectabilité » et de « pudeur » en portant le voile.
Bien au-delà du cas Özdemir, nous voulons en revenir à l’essentiel, évacué par les partisans d’un relativisme culturel anti-humaniste. Quelle est la signification du voile ? L’essayiste d’origine iranienne Chahdortt Djavann en a fourni l’explication la plus limpide : « Le port du voile est l’emblème, le drapeau et la clé du système islamiste. C’est autour du voile qu’une société islamiste peut se créer. Le voile est le meilleur moyen de gagner du terrain pour les islamistes. Avec le voile, les femmes sont les biens des hommes musulmans Une fois mise sur le marché, la fille voilée ne peut être acquise que par un homme musulman. Voiler la femme, c’est donner à voir non seulement le marché du sexe, mais le système qui le sous-tend. « Voilà les femmes que nous avons et que vous n’aurez que si vous vous convertissez à l’islam » : ce message vient des islamistes et s’adresse à tous les hommes susceptibles de le recevoir, ne serait-ce que parce qu’ils circulent dans la rue ou prennent le métro. Le voile est le meilleur instrument du prosélytisme islamiste ». Partout dans le monde, des femmes musulmanes se battent pour sortir de ce système islamiste qui cherche à les maintenir dans un statut de sous-homme. « Beaucoup de femmes musulmanes, écrit le philosophe Abdennour Bidar, préfèrent un islam du coeur, de la vie privée, refusant un voile, même léger, qui demeurera toujours comme un instrument de « marquage » qui laisse sur elles l’empreinte d’un pouvoir subi de la part des hommes ». Ce sont ces femmes musulmanes, courageuses et souvent héroïques, que méprisent, chez nous, ceux qui multiplient les concessions aux musulmans rétrogrades. Nous ne pouvons nous taire lorsque les compagnons de route des islamistes traitent de « racistes » ou d’« islamophobes » les démocrates qui veulent bétonner les conquêtes laïques et défendre le droit de toutes les femmes. Ce terrorisme intellectuel est d’autant plus insupportable qu’il est souvent pratiqué par des militants dits « progressistes » qui, lors de la manifestation pro-palestinienne du 11 janvier dernier, dans les rues de Bruxelles, ont défilé aux côtés d’islamistes encensant le Hamas et le Hezbollah, appelant à la guerre sainte et hurlant des slogans antisémites. Les donneurs de leçons devraient, parfois, se regarder dans un miroir. Nous regrettons que tant de démocrates, socialistes, écologistes, humanistes, féministes, s’autocensurent face à la montée du cléricalisme musulman ultraconservateur. Nous espérons que leur silence sera bientôt rompu. Nous savons que dans tous les partis, de très nombreux élus ne supportent plus la chape de plomb imposée par les compagnons de route des islamistes. Nous savons qu’ils sont nombreux à déplorer, qu’à Bruxelles particulièrement, les mosquées et les imams conservateurs, interviennent de plus en plus vivement dans le débat politique.
Au point qu’aujourd’hui, il est devenu malaisé, pour un candidat d’origine arabo-musulmane, d’être élu, à Bruxelles, sans certificat de « bon musulman ». Il suffit de passer au crible les élus (et les non-élus) d’origine arabo-musulmane de certains partis démocratiques bruxellois pour comprendre. C’est tout sauf un hasard si certains, défenseurs d’un islam pas vraiment éclairé, sont élus, et si d’autres, pas assez conformistes pour bénéficier du soutien des mosquées, restent en rade. Nous appelons à un débat au sein des assemblées parlementaires dès la rentrée. Nous appelons à un sursaut : démocrates de droite ou de gauche, cessons de faire l’autruche face au retour d’un cléricalisme moyenâgeux maquillé en progressisme d’opérette. Les droits de l’homme et surtout de la femme sont en jeu, appartenons tous au même camp.